DRC80 – Roger Lumbala
Décision adoptée par le Comité des droits de l’homme des parlementaires à sa 149ème
session (Genève, 15-25 janvier 2016)

Le Comité,
se référant au cas de M. Roger Lumbala et à la décision adoptée par le Conseil
directeur à sa 193ème session (octobre 2013),
se référant aux communications du Président de l’Assemblée nationale des 8 octobre
2015, 21 décembre 2015 et 11 janvier 2016, ainsi qu’aux informations transmises par
le plaignant,
se référant au rapport de la mission en République démocratique du Congo (RDC)
(CL/193/11b)-R.2),
rappelant que, le 8 janvier 2013, le mandat parlementaire de M. Lumbala a été
révoqué par l’Assemblée nationale pour absences non justifiées et non autorisées,
rappelant les informations et allégations suivantes versées au dossier :
- selon le plaignant, M. Lumbala a été arrêté arbitrairement au Burundi le
1er
septembre 2012 par les services de renseignement burundais, à la demande
des services de renseignement congolais, en violation de son immunité
parlementaire; les autorités congolaises ont nié toute implication dans cette
arrestation; des interventions diplomatiques internationales ont permis à
M. Lumbala de quitter le Burundi librement le 15 septembre 2012;
- Le 10 septembre 2012, le Procureur général de la République a demandé que
l’immunité parlementaire de M. Lumbala soit levée pour pouvoir l’arrêter du chef
de trahison et d’atteintes à la sûreté de l’Etat; le Président de l’Assemblée
nationale a confirmé que M. Lumbala était poursuivi pour s’être rallié au
mouvement rebelle M23;
d’engager la procédure de levée de l’immunité à la mi-octobre 2012, procédure
qui a par la suite été interrompue sans explication;
- Le 8 janvier 2013, lors d’une session extraordinaire à laquelle la question ne
figurait pas à l’ordre du jour – d’après le plaignant, l’Assemblée nationale a
décidé de révoquer le mandat parlementaire de M. Lumbala pour absences non
justifiées et non autorisées sans l’avoir entendu et sans que cette décision ne
lui ait été préalablement notifiée,
rappelant que le plaignant a systématiquement affirmé que M. Lumbala n’avait jamais
adhéré au M23; qu’il allègue que ce dernier a été victime d’une révocation arbitraire
de son mandat parlementaire et que la présomption d’innocence et les droits de la
défense ont été méconnus au cours de la procédure parlementaire et judiciaire pour
les motifs suivants :
- M. Lumbala ne s’est jamais vu formellement notifier les accusations portées à
son encontre: il n’a pas été interrogé préalablement à la demande d’arrestation
et n’a pas pu présenter sa défense;
- la lettre adressée au Président de l’Assemblée nationale par M. Lumbala pour
présenter sa défense à l’Assemblée plénière, en son absence, n’a pas été
transmise aux députés et n’a pas été lue en plénière, ni prise en compte dans
les débats;
- la décision de révoquer le mandat parlementaire de M. Lumbala a été prise en
violation de la procédure prévue par le règlement intérieur, en l’absence de vote
nominal et au titre de la question floue posée à l’Assemblée au moment du
vote;
- M. Lumbala et ses avocats ne se sont jamais vu officiellement notifier la
décision de révocation de son mandat parlementaire, ni ses motifs;
- la procédure parlementaire, tout comme la procédure judiciaire, sont motivées
par des considérations purement politiques, compte tenu de l’absence de
preuves à l’encontre de M. Lumbala,
rappelant que les déclarations publiques de M. Lumbala sur Radio France
Internationale, par lesquelles il a affirmé soutenir le M23 dans sa lutte armée contre le
régime congolais, ont été versées au dossier, ainsi que le rapport du 15 novembre
2012 du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, qui établit également un lien
entre M. Lumbala et le M23,
rappelant que les présidents des groupes parlementaires de l’opposition ont informé
la délégation du Comité qui s’est rendue en RDC en 2013 que le Bureau de
l’Assemblée appliquait une politique de « deux poids deux mesures » car d’autres
députés siégeaient sans être inquiétés malgré leurs liens étroits avec des groupes
armés,
rappelant également les conclusions du rapport de la mission en RDC en 2013,
auxquelles il a souscrit :
- Il ne fait aucun doute que l’Assemblée nationale a décidé de révoquer le
mandat parlementaire de M. Lumbala parce qu’il avait rallié le M23, l’institution
parlementaire refusant de cautionner le soutien apporté par un député à un
groupe rebelle responsable de graves crimes commis dans l’Est du pays;
- Aucune disposition de la Constitution, de la loi ou du règlement intérieur de
l’Assemblée nationale ne confère à celle-ci le droit de révoquer le mandat d’un
député dans un tel cas; l’article 119 du règlement intérieur, utilisé en l’espèce,
vise une situation différente, celle de l’absentéisme des députés;
- Il est essentiel que l’exclusion définitive d’un parlementaire demeure une
procédure exceptionnelle et soit confinée aux cas strictement prévus par les
textes juridiques car elle peut, à défaut, devenir une arme dangereuse entre les
mains de la majorité; la révocation du mandat d’un parlementaire est une
mesure grave, privant définitivement l’intéressé de la possibilité d’exercer les
fonctions qui lui ont été confiées, et doit donc être prise dans le strict respect de
la loi et seulement pour des motifs graves; l’invalidation d’un parlementaire doit,
en tout état de cause, faire suite à une procédure respectant strictement les droits de la défense du parlementaire concerné; ces droits comprennent le fait .
pour un parlementaire de se voir notifier à l’avance la procédure engagée
contre lui, d’avoir la possibilité de préparer sa défense et de la présenter luimême ou avec l’assistance d’un représentant devant le Parlement;
- L’Assemblée nationale aurait dû mener à son terme la procédure de levée de
l’immunité parlementaire qu’elle avait initialement engagée contre M. Lumbala
pour permettre à la justice de se prononcer sur ce dossier; l’Assemblée a en
l’espèce fait une utilisation abusive de la procédure pour absence injustifiée,
seule procédure lui permettant d’exclure M. Lumbala de l’institution
parlementaire en vertu de son règlement intérieur; l’intéressé et ses avocats ne
se sont pas vu notifier la révocation du mandat et ont, de ce fait, été privés de la
possibilité de présenter leur défense,
sachant que les prochaines élections législatives sont prévues en novembre 2016 et
que la législature en cours touche à sa fin;
1. déplore qu’au lieu de mener à terme la procédure de levée de l’immunité
parlementaire, l’Assemblée nationale se soit attribuée le pouvoir de révoquer le
mandat parlementaire de M. Lumbala pour un motif non prévu par la loi et en
violation de la présomption d’innocence et des droits de la défense du
parlementaire concerné;
2. rappelle que les parlementaires tiennent leur mandat du peuple et qu’un mandat
parlementaire ne peut être interrompu en cours d’exercice que de manière tout
à fait exceptionnelle dans les seuls cas déterminés par la Constitution et par la
loi, à l’issue de procédures respectant strictement les droits de la défense;
3. conclut en conséquence que l’Assemblée nationale a fait une utilisation abusive
de la procédure de révocation pour absence injustifiée et décide de clore le
dossier conformément à l’article 25(a) de sa Procédure d’examen et de
traitement des plaintes.