
*C’est au quartier UPN, à Kinshasa- Ngaliema, dans une grande maison construite en style architectural des colons, que Papa Lufwa, 93 ans, a reçu l’équipe du journal La Prospérité. A cœur ouvert, l’icône de l’art plastique en RDC fustige la gestion de la Socoda qui ne lui rétribue pas son droit de créateur pour son œuvre, « le Batteur de tam-tam». Et pourtant, cette statue référence et historique fait l’objet d’une grande attraction. Lisez-le :
La Prospérité : Qui est Papa Lufwa en quelques lignes?
Lufwa Mawidi : Je suis né le 30 novembre 1923, dans la province du Kongo Central, ex-Bas-Congo, à Yanda, un village situé à 3KM de Nkamba. Après des brillantes études en art plastique, j’ai obtenu mon diplôme en 1951 à l’Ecole St Luc de Liège de Léopold Ville (ancienne appellation de Kinshasa).
LP : D’où est venue l’inspiration de créer «l’homme du tam-tam », cette statue référence érigée à la FIKIN ?
C’est une longue histoire. Tout est parti lorsque je suis arrivé au niveau terminal. Mon école était en correspondance avec l’école St Luc de Liège en Belgique. Nos œuvres maitresses ont, donc, été envoyées à Liège pour un concours d’exposition. Donc, j’étais retenu parmi les exposants à ce concours. L’école avait envoyé deux de mes œuvres, à savoir : «l’homme du tam-tam » et « le danseur mukongo». La seconde a remporté le 1er prix. Et plus tard au pays, c’est le batteur de tam-tam qui sera sélectionné pour constituer la statue de la Foire internationale de Kinshasa, FIKIN. Une fierté et un vrai succès pour moi.
LP : Etait-il facile pour vous de passer de la maquette à la création d’une statue aussi gigantesque faites en pierre. A quel moment étiez-vous bloqué ?
LM : J’avais connu un grand risque. Croyez-moi, en architecture, on appelle ça, porte-à-faux. L’homme qui bat le tam-tam est incliné. Vous constatez que seulement, ses hanches relient les deux parties, supérieures et inférieures. Si, je n’avais pas fait une armature aussi forte et intelligente, cela pouvait se casser et peut être tombé sur moi. Imaginez-vous ce qu’il allait être comme dégât causé sur ma personne. Je remercie encore le seigneur que cela ne s’était pas produit, parce que le premier modèle était fait en argile et la finale en pierre. Les gens voient et admirent l’œuvre mais ignorent les risques que j’ai encourus. J’aimerais avant ma mort toucher au moins la prime de risque.
LP : Vous êtes le premier professeur noir de l’époque coloniale. Par quel mécanisme étiez-vous retenu en cette qualité ?
LM : Lorsque le jury en Belgique m’avait décerné le prix du meilleur exposant, les belges ont aussi décidé que je puisse partager mon savoir avec les autres. Ainsi, j’étais nommé professeur à l’Académie de beaux-arts de Kinshasa, alors Léopoldville.
LP : Comment avez-vous vécu l’avènement de l’indépendance aux cotés de vos collègues blancs ?
LM : Ce n’était pas facile, mais je devais faire confiance à mon savoir-faire et mon savoir vivre qui m’avaient élevé à ce niveau. Je me rappelle encore de mon ancien professeur et directeur en même temps, monsieur Deskerperses qui était le supérieur général des Ecoles des Frères dans le monde entier. Il m’avait conduit à rencontrer et saluer le Roi Baudouin. Je lui avais même offert une statuette en figurine d’ivoire. Et le Directeur de l’Académie, Deskrevers, qui était aussi ministre des colonies, avait fait un rapport à la Belgique, disant : « Lufwa est un trait d’union entre deux culture ».
LP : Vous rappelez- vous encore de certains des élèves que vous aviez formés ?
LM : Beaucoup sont morts, tels que maitres Kalema Charles, ou les plasticiens : Thamba, Wuma, Nginamau, le peintre Ndamvu Julien. Mais, il y a aussi Maitre Liyolo qui est vivant. Mavima, qui est jusque-là professeur à l’Académie des beaux-arts de Kinshasa.
LP : A 93 ans d’âge, est-ce que Maître LUFWA bénéficie ou survit-il grâce à son œuvre « Statue de la Foire », qui attire jour et nuit des touristes, à chaque édition foraine ?
LM : Un dicton de chez moi dit : « mobange soki aniati mwana ya soso. Ezali po akomi misu ékufi to po akomi mpaka ? Po ata akoli a ko sentir présence ya mwana ya soso » (Tradition NDLR: « si un vieillard piétine un petit poussin, c’est parce qu’il est devenu aveugle ou parce qu’il est devenu vieillard»). Ce qui veut dire : au-delà de ma vieillesse, et mes maladies que je ne sais pas me faire soigner par manque d’argent, je sais encore savourer les délices d’un matamba (feuille de manioc) et du poisson frais de notre beau et vaste fleuve Congo. Aidez-moi, certaines grandes sociétés de la place exploitent mon œuvre dans leur publicité, sans pour autant, songer à mon droit d’auteur. Et d’ailleurs je me demande si la Société congolaise des droits d’auteur et voisins (SOCODA) n’est là que pour les artistes musiciens, pas nous autres plasticiens. Qu’on s’occupe de mes vieux jours et qu’on me récompense de mon vivant. Je m’arrête là !
LP : Avez-vous un mot de la fin ?
Lufwa Mawidi : Le visiteur qui arrive, chaque année, à la FIKIN est d’abord frappé par mon imposante statue du batteur de tam-tam, œuvre gigantesque d’une rare beauté architecturale érigée à l’entrée même pour souhaiter la bienvenue au public. Grâce à mon œuvre, la FIKIN génère une bonne recette mais je ne me retrouve pas. N’attendez pas ma mort pour venir avec des gerbes de fleurs, soit disant pour rendre hommage à l’illustre disparu, alors que de mon vivant, je suis abandonné. Je remercie Tshaka Kongo et surtout la presse pour avoir pensé à moi. Que Dieu vous bénisse pour tout ce que vous entreprendrez sur cette terre.