Des dizaines de magistrats et professionnels des médias ont pris part à deux journées de réflexion portant sur "le rôle du pouvoir judiciaire dans la protection de la liberté de la presse en République démocratique du Congo". Tenues du 28 février au 1er mars en la salle des conférences du "Centre catholique Marie Reine de la Paix", à Gombe, ces assises se sont déroulées à l’initiative d’Internews, avec le concours de l’USAID, de la Coopération suisse et du Conseil supérieur de la Magistrature.
Deux jours durant, les représentants des cours et tribunaux et ceux des organisations des médias (CSAC, UNPC, OMEC…) ont travaillé de commun accord pour suggérer des mesures susceptibles d’assurer la protection de la liberté de la presse en République démocratique du Congo. Mesures jugées nécessaires pour aider les journalistes à informer correctement le citoyen congolais qui a droit à l’information, conformément à l’esprit de la Constitution du 18 février 2006.
Dans son mot d’ouverture, le premier Secrétaire rapporteur du Conseil supérieur de la Magistrature, M. Damien Mugimba, a souligné que cet atelier est intervenu au moment où la RDC est appelée à consolider sa jeune démocratie. "Qualifiée de quatrième pouvoir, la presse contribue à l’avènement d’une bonne gouvernance et, partant, d’un Etat de droit réellement démocratique. Ainsi, la liberté de la presse constitue le thermomètre de l’état démocratique d’un pays. Voilà pourquoi le Constituant du 18 février 2006 a garanti la liberté de la presse", a fait remarquer le représentant du président du Conseil supérieur de la Magistrature.
RECOURS EXCESSIF AU CODE PENAL
A la lumière de l’article 24 de la Loi fondamentale, M. Damien Mugimba a rappelé que ’’toute personne a droit à l’information’’ et que ’’la liberté de la presse, la liberté d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui...’’.
"A ce propos, a insisté M. Damien Mugimba, la loi du 22 juin 1996 portant modalités de l’exercice de la liberté de la presse ne s’accommode guère à l’esprit démocratique de cette disposition, dans la mesure où elle institue un recours excessif au Code pénal pour la répression des faits qu’elle qualifie d’infractions de presse et, partant, étouffe la liberté de presse".
Venu éclairer la lanterne des participants, Me Charles Mushizi a axé son intervention sur le rôle du magistrat qui est tenu à sanctionner les outrages, les injures, les diffamations… à charge des journalistes, au regard de la loi en vigueur. C’est dans ce cadre qu’en cas d’infraction commise par un journaliste, est généralement poursuivi l’auteur de l’article, à défaut le Directeur de publication ou l’éditeur, ou encore l’imprimeur si les deux derniers sont introuvables, a commenté Me Charles Mushizi, se référant à la loi.
DES IMMUNITES POUR LES JOURNALISTES
Pour sa part, Me Godefroid Kabongo Nzengu, s’est attelé à faire réfléchir l’assistance sur "les infractions de presse et le droit du public à l’information". Il a tenu à cet effet à mettre un bémol au niveau des termes juridiques en la matière, précisant qu’en RDC, on ne parle pas d’infractions pour les professionnels des médias, mais plutôt de délits de presse.
Se fondant sur certaines études, Me Godefroid Kabongo Nzengu a soutenu que ’’plus de 90% d’infractions peuvent être commises par autre voie que la presse’’. Et que pour ce faire, il n’importe pas de continuer à importuner les journalistes qui s’adonnent quotidiennement à informer le public.
Reconnaissant que la loi du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse a montré ses limites, l’intervenant a appelé à la révision de cette loi, insistant sur la nécessité d’accorder aux journalistes des immunités comme aux parlementaires, en vue de leur permettre de s’exprimer aisément et d’informer en toute impartialité leur public.
REACTUALISER LA LOI DE 1996
Abondant dans le même sens, le Procureur de la République, Eric Kuku Kiese, a également reconnu que la loi du 22 juin 1996 n’est plus adaptée au contexte démocratique actuel. Raison pour laquelle il a suggéré sa révision pour permettre aux professionnels des médias de jouir réellement de la liberté de la presse.
Répartis en trois équipes, les participants se sont retrouvés en atelier pour suggérer des voies et moyens susceptibles d’assurer la protection de la liberté de la presse. Magistrats et journalistes ont trouvé le cadre propice pour continuer à travailler de commun accord, et veiller à ce que les professionnels des médias ne soient plus arrêtés lorsque l’information qu’ils diffusent pour l’intérêt général s’avère vraie et vérifiable.
UNE SYNERGIE MEDIAS ET MAGISTRATS
"C’est un plaisir pour moi de voir le lien naître et se développer entre magistrats et organisations professionnelles des médias", s’est réjoui le Directeur Pays d’Internews, Karim Benard-Dende. Ces deux journées d’échange, précise-t-il, s’inscrivent dans le cadre du projet "Libres et responsables : Protéger la liberté de presse pour le débat démocratique en République démocratique du Congo".
Financé par le Département de la coopération pour le développement de la confédération Suisse, le projet en cours (2016-2018), est intégré dans le cadre du Programme de Développement du Secteur Médiatique (PDSDM), appuyé par USAID depuis 2011 et qui finira à la fin de cette année, a indiqué le Directeur Pays d’Internews.
D’après Karim Benard-Dende, ces deux journées d’échange seront suivies d’une série d’ateliers, d’une journée chacune, qui se dérouleront dans huit villes des provinces (Mbandaka, Mbuji-Mayi, Kananga, Kikwit, Bukavu, Kisangani, Goma, Lubumbashi). Une autre journée d’échange aura lieu en mars et une autre en juillet 2017, confirme Paul Nkuadio, le responsable du projet.