INTRUSION D’UN CURE DANS LA SPHERE PARTISANE DONATIEN NSHOLE : PRÊTRE OU ACTEUR POLITIQUE ?
A défaut d’être sans équivoque, l’affirmation et surtout la revendication de l’engagement de l’Eglise catholique romaine pour une société plus humaine, plus juste, plus digne et plus pacifique est millénaire. De tous temps et à travers les époques, même si l’Eglise catholique n’a pas toujours été en phase avec certaines valeurs de la démocratie moderne, celle qui se veut universelle n’a jamais évolué en marge de la marche du monde. En plus des actions diplomatiques, sociales et caritatives, plusieurs textes qui traduisent cet engagement de l’Eglise et signent ainsi son combat contre les injustices de tous ordres constituent même des références dans certaines disciplines en sciences sociales. L’Encyclique "RerumNovarum" du Pape Léon XIII pour ne citer que celle-là est considérée comme l’un des textes fondateurs de la sociologie moderne.
En République démocratique du Congo, l’Eglise catholique locale n’est pas en reste. Après l’union cynique entre l’épée et le goupillon sous la colonisation, l’on a pu apprécier, à leur juste valeur, certaines prises de position tout comme l’investissement de l’Eglise catholique dans la formation intellectuelle des élites congolaises. Les plus anciens évoquent souvent avec nostalgie les périodes où, par exemple, ils attendaient avec impatience les écrits et les homélies de feu le Cardinal Joseph Malula, alors Archevêque de Kinshasa engagé dans un bras de fer épique avec le régime politique sous la deuxième République.
Cette tradition de fronde calotine s’est maintenue au fil des années avec des prises de position réputées courageuses de quelques princes de l’Eglise en faveur des causes citoyennes. On ne peut toutefois pas ignorer leur rôle et leur implication dans le processus de démocratisation de notre pays, soit d’initiative, soit dans l’accompagnement des masses ou à la rescousse de certains acteurs politiques. Après tout, dans un État démocratique, aussi laïc soit-il, il ne peut être interdit à un prélat d’être habité par la passion politique.
C’est dans cette optique qu’il convient sans doute de situer, entre autres, la récente mission des bons offices confiée aux Évêques catholiques par le Président de la République sur pied des pouvoirs lui reconnus par l’article 69 de la constitution en vue d’obtenir un accord plus inclusif entre les signataires et les non signataires de l’accord du 18 octobre 2016.
Au terme de cette mission qui a duré plus de trois mois, les Evêques regroupés au sein de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) ont rendu leur copie au Chef de l’Etat avec le sentiment du devoir accompli malgré quelques questions non résolues concernant notamment la procédure de présentation du Premier Ministre et celle de la désignation du successeur du défunt Etienne Tshisekedi à la tête du Conseil National de Suivi de l’Accord signé le 31 décembre 2016 et pour lesquelles ils ont expressément suggéré au Président d’user de ses prérogatives constitutionnelles pour y trouver une solution idoine.
Usant de ces prérogatives, et en sa qualité de garant du fonctionnement des institutions, après consultations de toutes les parties prenantes, le Chef de l’Etat a nommé un Premier Ministre conformément à l’Accord signé sous l’égide de la CENCO. Mais contre toute attente, cette nomination a été suivie par un début de fronde dans le chef d’une certaine frange de l’opposition et chez les néolibéraux belges qui semblent plaider sans complexe pour une recolonisation de la RDC. Curieusement, les Evêques catholiques qui s’étaient pourtant retirés de leur médiation bredouilles sur cette question, leur ont emboité les pas en revenant avec fracas dans ce débat pour fustiger la décision présidentielle et déclarer sans ambages que cette nomination constituait " une entorse à l’esprit et à la lettre de l’accord du 31 décembre 2016 " !
POSTURE PARTISANE
Devant le trouble et l’incompréhension suscités par cette interprétation d’une décision politique qui n’est rien moins qu’un jugement de valeur, plusieurs Congolais ont estimé, à tort ou à raison, qu’aussi légitime soit-il, l’interventionnisme de l’Eglise catholique dans la sphère politique et particulièrement cette dernière prise de position a gravement nui à son image et à la crédibilité de son message, surtout que la substance de ce message épouse une posture partisane.
Pour se justifier, le porte-parole de la CENCO, Monsieur l’Abbé Donatien Nshole dont les prestations médiatiques et les prises de parole de plus en plus fortes se disputent les feux de la rampe avec celles des communicateurs des partis politiques, a cru bien faire d’accorder le week-end dernier une longue interview au journaliste Simplice Divine Kalunga dans l’émission "Nouvelle donne" avec pour objectif d’apporter plus de lumières sur la position des évêques.
Mais en lieu et place de lumières, on s’est retrouvé en fin de compte dans une totale opacité. Les téléspectateurs stupéfaits ont entendu un discours "cache-sexe" et "pousse-au-crime" qui en dit long sur le personnage de ce prêtre, sur les objectifs parfois inavoués de ceux qui contrôlent aujourd’hui son institution et sur leur mode opératoire dans leurs relations avec le pouvoir établi et la société congolaise.On s’est vite rendu à l’évidence qu’à défaut d’imposer la loi des intérêts qu’il sert aux autorités temporelles - l’époque où les dirigeants des nations se faisaient une joie d’accéder aux désirs du pouvoir spirituel étant révolue -, l’Abbé Nshole, se vautre comme une luciole étourdie qui risque de se brûler les ailes au contact du feu politique, dans la connivence avec la frange la plus extrémiste de l’opposition congolaise dont on lui fait le reproche d’être devenue une caisse de résonance.
En effet, usant d’une logorrhée parfois maladroite et malgré une tentative de jongler avec les concepts grâce à un sophisme assez approximatif, le secrétaire général de l’épiscopat catholique congolais a été sérieusement mis en difficulté par un Simplice Kalunga aussi espiègle que moqueur. Poussé dans ses derniers retranchements, on a vu le prêtre - apprenti politicien ?- en venir à dévoiler malgré lui le véritable ’modus operandi’ de ses mentors qui n’est pas sans rappeler certaines pratiques usités pendant la tristement célèbre inquisition. Tel un époux éconduit et qui ne souhaite qu’une chose : que les malheurs s’abattent sur celle qui a osé le repousser. Est-ce parce que l’Eglise catholique congolaise n’a toujours pas admis et intégré la fin de la fameuse "trinité coloniale" (collusion fonctionnelle entre l’institution cléricale belge, l’administration coloniale et les sociétés à charte avant l’indépendance) qu’elle se livre à des assauts aussi furieux que musclés et teintés de mauvaise foi contre le pouvoir politique ? La question de transposition subliminale ou de transfert à la Freud peut se poser.
On peut rappeler que ce mode opératoire assez simple mais très efficace se déclinait de la façon suivante : l’Eglise dénonce et condamne un hérétique ou un "dangereux communiste", elle le remet entre les mains des juges attitrés ou du" peuple ", construit et prépare le bûcher, mais elle ne participe pas publiquement à la sentence dont il laisse plutôt au peuple la tâche de châtier l’impie.
Ainsi, selon Monsieur l’Abbé Nshole, dans cette affaire, les pères évêques ont fait leur travail de docteurs, de juristes, de "prophètes" (sic !), la suite des événements ne relevant plus d’eux… A la Ponce Pilate, les prélats, blancs comme neige, s’en laveraient les mains. En prophètes, ils se limitent à monter habilement le spectacle du bûcher, à tendre les pièges mais ils se donnent l’élégance de ne pas y assister ou y pousser directement la proie.
" Pourquoi la nomination de Tshibala comme Premier Ministre vous pose-t-elle problème ? ", lui a demandé Kalunga. Réponse de l’Abbé : " Tshibala ou Félix (Tshilombo Tshisekedi, l’homme des néolibéraux belges, ndla ), peu importe. Les pères évêques n’ont fait que leur devoir. Ils ne pensent qu’à la souffrance du peuple mais le Président n’a pas pris la bonne décision en nommant Tshibala". Un véritable chef d’œuvre de la litote. Hommes de foi, hommes de Dieu au service de la société et " des autres ", ce qu’il advient de certains ne relève pas d’eux...
Pire, les téléspectateurs ont eu droit à une confession médiatique et publique par laquelle l’Abbé,secrétaire général et porte-parole confirmé de la CENCO en pleins travaux des récentes négociations politiques du Centre interdiocésain,admet que le pouvoir spirituel qu’il représente obtient de temps en temps des faveurs sonnantes et trébuchantes du pouvoir temporel et que de fortes sommes d’argent circulent entre l’Eglise congolaise et des hommes politiques, notamment de la part des mécènes dissidents politiques comme Moïse Katumbi Chapwe, le fugitif ex. gouverneur de l’ancien Katanga, en concurrence avec d’autres comme le Président Kabila. Ce qui, du point de vue de la justice immanente marque, à l’analyse, une sorte d’essoufflement moral et de dévoiement de l’idéal évangélique sinon le début de la pourriture du poisson catholique par la tête car ce comportement démontre qu’en plus de ne plus suffire, le corps et le sang du Christ ne sont plus en fait destinés qu’à l’estomac, à la consommation.
Cette interview accordée par l’Abbé Nshole dont on est en peine de dire si par moments il ne parlait pas pour son propre compte au lieu d’exprimer les positions de l’Eglise catholique romaine ressemblait plus à un théâtre misérable où se sont dévoilés des passions de bas étage qu’à une explication de nobles motivations pouvant justifier la contestation par la CENCO de la décision du Président de la République. Nombreux sont les Congolais qui considèrent cette tonitruante intrusion d’un prêtre dans la sphère de l’action politique partisane comme contraire à la vocation d’une institution qui est censée demeurer neutre et "au milieu du village" selon l’expression consacrée. Car même Sa Sainteté le Pape François qui manie à merveille un certain humour caustique a déclaré il y a peu que " si l’Eglise doit évoquer le démon, elle ne doit diaboliser personne ! ".
« CONCILIER LES CONTRAIRES ET NON EXACERBER LES ANTAGONISMES »
Lorsque l’on décrypte le comportement et les prises de position politiques de certains acteurs au sein de la hiérarchie catholique du Congo Kinshasa comme l’Abbé Nshole, l’on se demande par moments s’ils ne regrettent pas leur condition et s’ils ne seraient pas tentés de troquer leur soutane contre un autre statut. Les anathèmes contre le pouvoir politique constituent depuis bien longtemps leur tasse de thé. Leur engagement politique à peine voilé laisse perplexe ceux qui attendent d’eux une autre posture. En tout état de cause, une chose est certaine : autant l’Eglise a raison de s’intéresser au débat citoyen, autant elle doit le faire à la lumière du message du Christ et des recommandations du successeur de Pierre qui leur demande de" concilier les contraires et non exacerber les antagonismes ". Sinon elle n’est plus dans son rôle. Ses acteurs doivent se faire un point d’honneur à prêcher par l’exemple et ne pas être aveuglés par les rancœurs et les rancunes chaque fois qu’ils doivent engager un débat de société. Les ambitions et les convictions personnelles ainsi que les haines ne doivent pas être érigées en dogmes, ni servir de boussole dans les itinéraires socio-politiques des uns et des autres. Epouser les thèses d’une frange de l’opposition politique et vouloir les imposer à l’ensemble de la communauté nationale en instrumentalisant la crédibilité de l’Eglise est à cet égard, une initiative mal venue.