Sa parole est rare. Joseph Kabila, réputé mutique, s'est livré ce week-end dans une rare interview au magazine allemand Der Spiegel. Instructif. Cela faisait cinq ans que Joseph Kabila n'avait plus accordé d'interview. Autant dire que l'interview qu'il vient d'accorder au journal allemand Der Spiegelest un événement. Une longue interview en anglais, parue ce week-end, dans laquelle il répond, non sans ambiguïté, aux principales interrogations politiques de l'heure en RDC et qui donne, comme le relève Jason Stearns, chercheur à l'université de New York, « un reflet fidèle de l'opinion de Joseph Kabila et de ceux qui l'entourent. »

Reporter sine die les élections pour se maintenir au pouvoir

Les élections en 2017 ? « Je n'ai rien promis… Je souhaite organiser des élections aussi vite que possible », déclare Joseph Kabila, comme pour doucher d'emblée tout espoir d'alternance dans un avenir proche au Congo-Kinshasa. Avant d'ajouter, tout de go : « Organiser des élections pourrait prendre plus de temps ou non… Nous voulons des élections parfaites, pas seulement des élections. » Pour justifier le report du scrutin, le président congolais avance deux raisons principales : la dizaine de millions de nouveaux électeurs à enrôler depuis 2011 et la guerre à l'est contre le M23 qui aurait plombé le budget et, partant, asséché les fonds disponibles pour les élections. Or, la RDC est actuellement en proie à un regain d'instabilité, d'est (Nord et Sud-Kivu, Katanga) en ouest (Kongo central) en passant par le centre (ancienne province du grand Kasaï). Une situation dont Joseph Kabila pourrait tirer argument comme justification à un report sine die des élections.

Mais le président congolais ne s'était-il pas engagé dans le cadre de l'accord de la Saint-Sylvestre à organiser des élections « avant la fin 2017 » ? Là aussi, Joseph Kabila décline toute responsabilité et renvoie à la CENI. « C'est la commission électorale qui organise les élections dans ce pays, ce que la plupart des gens oublient. Cette commission travaille déjà et les résultats sont positifs. Nous nous dirigeons vers 24 millions d'électeurs déjà inscrits. » Mais au total, c'est quelque 45 millions d'électeurs qui doivent être enrôlés pour un scrutin censé se tenir initialement avant la fin de l'année. On est donc encore loin du compte. Sans compter que la CENI, qui invoque régulièrement le manque de moyens financiers mis à sa disposition pour remplir sa mission, est largement sous contrôle du clan présidentiel, véritable maître du chronogramme en matière électorale.

Changer la Constitution par référendum pour briguer un nouveau mandat ?

Plus inquiétant encore pour l'opinion congolaise et la communauté internationale, la possibilité d'un changement constitutionnel – ou, plus précisément, d'un changement de Constitution – pour permettre à Joseph Kabila, 46 ans ce 4 juin et président depuis déjà 16 ans, de briguer un nouveau mandat présidentiel. Dans un premier temps, celui-ci tente d'esquiver. « Quand ai-je parlé de changer cette règle ? Personne à ce jour ne peut produire de déclaration orale ou écrite de ma part évoquant un changement de Constitution », assène-t-il avant de tenter, manifestement agacé, de clore le sujet : « Je suis très clair là-dessus. Tout ce bruit au sujet du changement de Constitution est un non-sens total », déclare-t-il. Mais les questions des journalistes allemands se faisant plus pressantes, le président congolais finit par lâcher : « Cela dépend de ce qu'on entend vraiment par troisième mandat… Nous n'avons en tous les cas pas l'intention de porter atteinte à la Constitution. Et comment pourrais-je avoir un troisième mandat sans porter atteinte à la Constitution ? », fait-il mine de s'interroger, énigmatique.

Celui-ci ne tarde pas à apporter un début de réponse : « Changer la Constitution est constitutionnel. Vous pouvez modifier la Constitution par référendum. » Et Joseph Kabila de préciser aussitôt : « Nous n'avons pas encore demandé un référendum… Jusqu'ici, nous n'avons pas entamé du tout le débat. » Quand bien même, il s'agirait donc de remettre les compteurs à zéro, de repartir balles neuves comme au Congo-Brazzaville voisin. Ce faisant, le chef de l'État, qui avoue au passage peu se soucier d'être reconnu comme l'un des « pères de la démocratie congolaise », omet de préciser que changer la Constitution en RDC dans ses articles dits verrouillés est… inconstitutionnel, y compris par référendum, comme le dispose expressément son article 220. Or, c'est précisément le cas notamment du nombre et de la durée des mandats effectués par le Président.

Un principe, qui plus est, renforcé par l'accord de la Saint-Sylvestre qui fait interdiction à l'ensemble des parties prenantes durant toute la période de transition de changer les dispositions de la Constitution, quelles qu'elles soient (et donc plus seulement les articles verrouillés), ni par voie parlementaire, ni par voie référendaire. Au final, les propos de Joseph Kabila, perçus comme une provocation par l'opposition, viennent alimenter les soupçons d'intention, qui lui est prêtée, d'organiser non pas des élections mais une consultation populaire afin de lui permettre de briguer sa propre succession. C'est d'ailleurs à cette fin que l'enrôlement actuel des électeurs serait entrepris. Un scénario d'autant plus crédible que la majorité présidentielle n'a, à moins de six mois de la date des élections prévue dans l'accord de la Saint-Sylvestre, jamais cherché de successeur au chef de l'État.

Botter en touche lorsqu'est évoqué le sort de son principal opposant

Der Spiegel évoque enfin le sort de Moïse Katumbi, le principal opposant au régime de Joseph Kabila, en exil en Europe après que ce dernier a été condamné à trois ans de prison dans une rocambolesque affaire immobilière. Le dernier gouverneur de l'ex-Katanga vient d'ailleurs de porter plainte, la semaine dernière à Genève, auprès de l'ONU contre les autorités congolaises. « Ce dossier regarde la justice congolaise », tente de balayer Joseph Kabila, alors même que la juge qui a condamné Moïse Katumbi, Chantal Ramazani, a reconnu l'avoir fait à la demande expresse du pouvoir. Des aveux qui l'ont depuis contrainte, elle aussi, à se réfugier en Europe. Mais quid de l'enquête diligentée par les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) qui ont conclu dans l'affaire Katumbi à une « farce », une manœuvre politicienne en vue d'écarter un rival politique dangereux ? « Être un évêque catholique ne signifie pas que vous êtes un saint. Je n'ai pas demandé aux évêques de remplacer la justice. »

L'église congolaise, très puissante en RDC, et ses ouailles, très nombreuses, apprécieront… En attendant, Olivier Kamitatu, le porte-parole de Moïse Katumbi, a réagi en indiquant sur son compte twitter que Joseph Kabila était « un cas désespéré. Il ne semble pas vouloir démissionner et n'écarte pas la possibilité d'un troisième mandat », a-t-il ajouté avant de s'interroger : « Pourquoi Joseph Kabila a-t-il donc signé l'Accord CENCO [NDLR : le 31 décembre 2016 entre la majorité et l'opposition en RDC afin de régler l'organisation des élections et les modalités de la transition en vue du départ concerté et programmé du chef de l'État] pour ensuite en oublier les engagements et tenir de tels propos ? » Il faut dire que, pour le chef de l'État congolais, adepte du machiavélisme en politique, tous les stratagèmes sont bons pour gagner du temps, quitte à revenir sur la parole donnée.
Kabila, un demi-règne de Mobutu

L'interview du numéro un congolais a été fraîchement accueillie tant dans les médias, qui fustigent pour la plupart le flou – pourtant habituel – du propos présidentiel, que sur les réseaux sociaux. « Finalement, Joseph Kabila fait plus de bien au pays en gardant le silence qu'en parlant », a tweeté non sans ironie Nono N'Landu, un journaliste lushois.

Une question demeure enfin. Pourquoi Joseph Kabila, d'habitude si taiseux et peu expansif, s'est-il montré cette fois-ci aussi prolixe ? Selon le journaliste Christophe Rigaud, spécialiste de la RDC, « cet entretien semble conçu pour préparer les esprits et la communauté internationale à un nouveau report » des élections, au mépris de la Constitution et de l'accord Saint-Sylvestre et au risque de provoquer le chaos. Certes. Mais au-delà, le président Kabila qui – comme à chaque fois que l'heure est grave, choisit l'anglais et non le français pour s'exprimer alors qu'il dirige le plus grand pays francophone au monde – a également, volontairement ou non, commencé à sensibiliser l'opinion à l'organisation d'un possible référendum. Histoire de continuer à se maintenir au pouvoir dans un pays sur lequel Joseph Mobutu régna en maître 32 années durant ? Avec 16 ans de présidence au compteur, Joseph Kabila en est déjà à la moitié.
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