Médecin admiré tant sur le plan national qu’international, non seulement pour son humanisme, mais surtout sa dextérité dans la prise en charge médicale des femmes victimes des viols, le Dr Mukwege est une fierté nationale. Ses prouesses chirurgicales assorties de compassion lui ont valu l’attribution de plusieurs prix et médailles au plan international.

Aussi, Dr Mukwege, on le sait, est associé à une aile de l’opposition. Dans plusieurs rencontres et diverses tribunes occidentales, il a courageusement pris des positions contre le régime de Kinshasa. C’est de bonne guerre. On le sait aussi, il est associé aux mouvements citoyens dont l’intention politicienne d’évacuer Joseph Kabila du trône est un secret de polichinelle. Et récemment, Dr Mukwege s’est distingué par le financement d’une conférence des universitaires proches de l’opposition radicale, qui veulent se régénérer pour sauver le Congo. Noble ambition. Mais, de là à brandir le Dr Mukwege comme un messie politique qui pourrait conduire une transition salvatrice, et comme par une force de démiurge, tirer le Congo de la crise politique, l’opposition pèche par onirisme politique. Nous avons besoin d’une opposition efficace, aux idées ingénieuses, capable de faire fléchir la monopolisation de l’Etat par la Majorité Présidentielle qui a dompté une partie de l’opposition malléable. Celle-ci a été associée à la délectation du pouvoir dans une transition assortie d’incertitudes, quant à sa possibilité de nous faire cheminer vers des élections crédibles. Mais, vraiment, en dépit de cette contradiction, penser que Dr Mukwege porte une vertu salvatrice, susceptible de maîtriser toute la classe politique roublarde, dompter les dynamiques sociopolitiques, sécuritaires, électorales, et diplomatiques, dans une transition excluant le Président Joseph Kabila et sa famille politique, est aléatoire. La nouvelle formule trouvée par l’opposition, ses universitaires et ses mouvements citoyens, pour exclure Joseph Kabila de l’équation politique congolaise, en le remplaçant par le Dr Mukwege appelle quelques observations.

1. DR MUKWEGE, L’HOMME DES OCCIDENTAUX, EN REMPLACEMENT DE
DR TSHISEKEDI COMME FIGURE DE PROUE DE L’OPPOSITION
En réalité, il est clair que l’opposition déjà fragmentée, souffre d’un déficit de leader prestigieux, immaculé en quelque sorte, dont la crédibilité peut être capitalisée pour redynamiser son combat (qui est très noble) mais qui bat de l’aile. Le décès de Dr Tshisekedi a causé un trou abyssal à la tête de la famille oppositionnelle. Le lider maximo possédait une longue expérience politique et une trajectoire de combattant oppositionnel inégalé.
L’homme était d’une puissante clairvoyance politique. Il savait élucider les pièges des adversaires. Et le temps lui donnait souvent raison. Ayant appris les manèges de la politique congolaise aux pieds des grands politiciens Congolais, notamment sous Lumumba, Kalonji et Mobutu, Dr Tshisekedi possédait une fine connaissance des logiques politiciennes congolaises. Homme politique de terrain, il avait tant l’expérience des élections, des institutions, que des négociations. Par ailleurs, Dr Tshisekedi jouissait du respect et de la crédibilité dans l’arène internationale. En ultime instance, Dr Tshiskedi avait de la personnalité et savait remettre les politiciens partenaires ou autres alliés, à leurs places. Dr Mukwege a certes du talent indéniable en chirurgie et un grand cœur pour les victimes des violences sexuelles, mais, est-il vraiment l’homo politicus, dans une quelconque mesure de génie politique de Dr Tshisekedi, pour conduire l’opposition des félins et être sauveur de la transition ? Le doute est énorme. Il est explicité dans le point suivant.
Après la mort de Dr Tshisekedi, la vérité est que l’on a réalisé qu’en dehors du lider maximo, l’opposition n’avait pas en réalité des leaders d’élévation idéologique admirable et de charisme politique attractif, assortis de clairvoyance. Aujourd’hui on se rend compte que l’opposition a été décapitée et aucune autre tête porteuse de charisme directeur n’émerge, qui soit capable de fédérer ladite opposition. Bien plus, l’arène politique manque de personnalité porteuse de contrepoids sociopolitique, laissant ainsi Joseph Kabila comme seul directeur de la dynamique politique nationale. Dans l’opposition ainsi dépourvue de personnalité d’ancrage, on voit surgir les luttes entre les individus aux trajectoires oppositionnels très asymétriques, voire antithétiques. Les nouveaux venus dans l’opposition, qui hier constituaient les piliers de la Majorité Présidentielle (dont un conseiller spécial en sécurité du président Kabila, un illustre ministre du Plan, et un puissant gouverneur), n’ont pas été acceptés par tous les segments de l’opposition. D’où l’éclatement du Rassemblement. Et en prolongement la division de l’UDPS en ailes Limeté et Kasavubu. Le Gouverneur Honoraire Moïse Katumbi, porteur de la force financière (que les félins politiques feignent de suivre pour lui extraire des mielleux pactoles, sans conviction sincère) n’a pas échappé au rejet par certains acteurs de l’opposition, à la longue. Malgré ses relations internationales, aux yeux d’une importante frange de l’opposition dans sa globalité, il a été jugé non-charismatique, non-porteur de prestige immaculé, à cause de la vulnérabilité de ses accointances avec le régime. En fait, lorsque l’on scrute objectivement l’opposition sans Dr. Tshisekedi, aucune personnalité de probité charismatique, de haute rentabilité électorale fondée sur la crédibilité nationale et internationale n’y est discernable. Personne de ceux qui claironnent au nom de l’opposition ne peut la fédérer.
C’est alors que la carte Dr Mukwege a été élucidée par ceux qui font la stratégie de l’opposition surtout en Europe. Une trouvaille merveilleuse, croit-on. Le secret est livré dans le respectable Journal Le Potentiel du 5 Septembre 2017. Il y est décrit et expliqué comment l’opposition a adoubé Dr Mukwege pour conduire la transition en évacuant le Président J.Kabila. Il y est abondement fait mention du soutien de Dr Mukwege par les Suédois, les Britanniques, les Américains. En fait, on ne sait pas de quels Américains, il est question. S’il s’agit de certains Démocrates du « Réseau Katumbi-Soros », il n’est pas sûr que c’est l’option levée par les Républicains Conservateurs qui sont au pouvoir. Ces derniers sont plus pragmatiques et ne veulent pas l’ébranlement irréfléchi de la RDC. L’affaire est mal ficelée parce que l’opposition va donner encore des munitions à la Majorité Présidentielle qui va avoir un exemple de plus du marchandage de la souveraineté du Congo en Occident. C’est vraiment une grave erreur stratégique de la part de l’opposition, et des mouvements citoyens qui lui sont associés, d’avoir brandi Dr Mukwege comme « l’homme des Occidentaux », que ces derniers ont choisi pour débouter le Président Joseph Kabila et prendre le pouvoir pendant la transition. La trame et la discursivité ont été construités avec une déplorable maladresse stratégico-politique.

2. LE DR MUKWEGE A LE DROIT D’ETRE CANDIDAT PRESIDENT : MAIS IL DOIT S’ENGAGER CLAIREMENT EN POLITIQUE
En plus de sa dextérité dans l’art de prendre soin des femmes victimes des violences, lorsque l’on écoute le Dr Mukwege, il a indubitablement de la consistance idéique. Ses argumentaires sont assortis de prégnance analytique et prescriptive. Il est assurément présidentiable. Cependant, une certaine observation formulée à son égard soutient qu’il ne suffit pas d’avoir une maestria chirurgicale réparatrice des cavités féminines, et jouir de la notoriété internationale en la matière, pour avoir comme par une loi de la nature toute la vertu de leader politique et de sauveur transitionnel. La politique moderne suppose un combat, un cursus, un investissement politique dans la durée. J’admets que dans une certaine mesure, un tel argumentaire n’est pas d’une véracité totale absolue. Mais, elle n’est pas non plus dénuée de toute pertinence. Les Congolais doivent aussi avoir le sens de la mesure des impératifs de la gestion de l’Etat. On ne fabrique pas un homme d’Etat, surtout pour gérer une société en crise, du jour au lendemain. De la gestion d’une salle de chirurgie à Panzi à la gestion de l’Etat, dans une arène politique en crise de légitimité, en proie à l’érosion économique, l’impasse électorale, les tragédies sécuritaires, il y a un gouffre. Et ce passage là, l’opposition voudrait que le Dr Mukwege le fasse, du jour au lendemain, parce que les Suédois, les Britanniques et certains Américains le soutiennent ? Quel est l’enracinement national et quels sont les atouts sociopolitiques du choix de Dr Mukwege pour diriger une dangereuse transition ?
L’équivoque doit être levée. Il ne faut absolument pas réagir « hypodermiquement » en fulminant qu’il est soutenu ici que le Dr Mukwege est un novice dépourvu d’expérience politique le prédisposant à être président. Ce n’est pas ce que je soutiens. L’argument essentiel ici est que notre prestigieux compatriote détenteur de diverses médailles de mérite ne devrait pas être piégé par l’opposition dans un stratagème d’accès au pouvoir, par l’exploitation de sa notoriété. Ce n’est pas dans une transition kafkaïenne, où les opposants eux-mêmes ne savent pas où donner de la tête, que l’on doit faire de Dr Mukwege un messie transitionnel. Sa place n’est pas dans une arène politique brumeuse, pleine de caïmans qui s’entredévorent, et qui cherchent les pires des coups à assener à leurs adversaires. Il est clair que ce médecin très compétent possède l’atout de sa notoriété pour être un candidat président à la prochaine élection présidentielle. Il est temps pour lui de créer un parti politique ou un mouvement et en être le leader (en absorbant éventuellement ce qui reste de l’opposition). Mais, la meilleure option pour lui serait d’éviter de servir de marche pied, et d’être encombré par certains caïmans narcissiques de l’opposition. Ils sont toujours insatisfaits et prêts à assener tous les coups pour accéder au pouvoir.

CONCLUSION : UNE TRANSITION EXCLUANT J.KABILA, L’EVACUANT DE L’EQUATION, EST PÉRILLEUSE.
J’ai toujours souligné que l’amnésie est une dangereuse pathologie en politique. La pulsion de l’anéantissement de l’autre, la fascination du pouvoir, font souvent oublier aux politiciens d’où ils viennent. Ce même Joseph Kabila que l’on taxe aujourd’hui de géni du mal (comme on le fit avec le Maréchal Mobutu), avec l’obsession d’une transition sans lui, c’est le même Joseph Kabila qui accepta de partager le pouvoir avec les rebelles et autres caïmans de tous les bords de 2003 à 2006. Si donc, dans ce contexte là, plus cauchemardesque, les politiciens ont conduit avec J.Kabila une transition plus périlleuse, mais intégratrice assurant un minimum de cohésion pour aller aux élections en 2006, pourquoi cela n’est-il pas possible aujourd’hui ? Envisager une transition sans Joseph Kabila serait une grave exclusion. C’est chercher une chose et son contraire. Cela est inacceptable par sa famille politique. Autant il est soutenu que le président manque de légitimité, autant tous les opposants sont sans légitimité. Quel est le fondement moral ou politique de leur faculté à imposer un ordre politique transitionnel fut-il, en excluant un autre acteur politique majeur que déterminant ?
Et pire, eux sont dénués de légalité résiduelle de facto, reconnue par la communauté internationale. Donc, aucun groupe ne peut exclure un autre. Il convient donc de faire preuve d’intelligence politique, de sens élevé de transcendance, pour chercher un schéma inclusif. Celui-ci est propice à la paix et à la cohésion nationale pour cheminer paisiblement vers les élections. Brandir Dr Mukwege comme le messie jouissant de la bénédiction des occidentaux (encore que ce n’est pas un schéma accepté au Département d’Etat ni à la Maison Blanche), c’est chercher à sacrifier cet excellent chirurgien sur l’autel du machiavélisme politicien. Dr Mukwege peut être proprement un candidat présidentiel. Il n’est pas en ce moment ici taillé pour être jeté dans une arène politique en ébullition. Par ailleurs, penser aujourd’hui se débarrasser de Joseph Kabila comme d’un enfant de cœur c’est une naïveté, voire une rêverie de chambre de bon fiston. Si certains acteurs politiques poussés par la haine viscérale et aveuglante pensent à l’option militaire, celle-ci est aussi extrêmement périlleuse. Même, si elle est enclenchée, elle produira une très longue guerre dont ni l’issue, ni la victoire n’est évidente. Dans le contexte actuel où les pays Africains se battent pour redresser leurs économies en proie à la crise découlant du choc exogène et aux défis des fins des mandats, il n’y a aucun pays sérieux qui soutiendra une insurrection systématisée en RD Congo. La Centrafrique en ébullition, le Sud Soudan en ébullition, les décideurs internationaux n’accepteront pas un autre foyer d’ébullition en RD Congo. Le coût sera trop élevé et le gain d’un meilleur Congo avec l’opposition n’est pas évident.
Qui plus est, les pays Africains se ligueront contre toute formule d’exclusion du Président Joseph Kabila par un putsch ou une insurrection, surtout si l’on sait son origine occidentale. Dans cette optique, la philosophie du Secrétaire d’Etat Rex Tillerson est claire : l’Amérique n’est pas prête à s’engager dans des aventures militaires en à l’étranger fondées sur l’imposition de la démocratie aux autres. Donc, les USA dirigés par les Conservateurs s’opposeront assurément à toute aventure militaire en RD Congo. Ainsi, les opposants et les politiciens de la majorité ont la responsabilité historique de mettre un peu d’eau dans leurs vins respectifs (même s’il est déjà amer), pour accepter de se rencontrer, parler et trouver une solution purement congolaise à l’impasse électorale. C’est possible et nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises dans des moments autrement plus difficiles. Un troisième dialogue est impérieux et les opposants radicaux ont le droit de cogérer l’Etat pour assurer une transition pacifique et convoyer les Congolais vers des élections apaisées. La volonté politique est exigée de toutes les parties, pour faire triompher l’intérêt supérieur de la nation au-dessus de guéguerres égotistes et paroissiales. Le Congo est béni et a un avenir radieux.
Hubert Kabasu Babu Katulondi
Libre-penseur, Ecrivain.
Tiré de L’AVENIR n°6700 du jeudi 7 septembre 2017
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