Alors que chacun sent que l’histoire s’accélère au Congo, où le président hors mandat Joseph Kabila tente de résister aux pressions internes et externes pour le forcer à céder le pouvoir, La Libre Afrique a interrogé le politologue Jean Omasombo, chercheur au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren et professeur à l’Université de Kinshasa, pour tenter de comprendre les événements.

Quelle est votre lecture de ce qui se passe aujourd’hui au Congo?

Clairement, les lignes bougent. On se trouve à un virage; tout peut arriver, à n’importe quel moment.

Joseph Kabila ira-t-il aux élections?

Ce n’est pas encore sûr. Quand il s’exprime, il évite même de prononcer ce mot, comme s’il lui faisait mal. Mais le dossier est sur la table. Toutes les récentes visites officielles à Kinshasa sont comme des vautours dans le ciel, qui sentent l’odeur de la mort. Quoi que disent les communiqués officiels.

L’Église catholique a pris la direction de l’opposition à son maintien au pouvoir…

L’Église a “protégé” Joseph Kabila en 2016. Une première fois lorsque les partis d’opposition ont voulu organiser une grande marche pour commémorer celle des chrétiens du 16 février 1992, réprimée dans le sang par Mobutu; les évêques n’en ont pas voulu. Et une seconde fois, à la fin de l’année, lorsque l’Église a patronné la rédaction de l’Accord de la St-Sylvestre, qui donne un an de plus à Kabila pour organiser les élections à condition d’y associer l’opposition. En 2017, Kabila a joué les fanfarons, montrant qu’il s’était joué de tous; il croyait avoir la situation en main après la mort de Mwando Nsimba, le président du G7 (NDLR: dissidents de la Majorité présidentielle opposés au maintien de Kabila) et celle d’Étienne Tshisekedi. À cela s’ajoute la fatigue de la rébellion au Kasaï. Mais voilà que la lourde machine de l’Église est arrivée au bout de sa patience. Et le 31 décembre 2017 a lieu la première marche des chrétiens contre Kabila. L’Église est appuyée par Rome qui, malgré la visite en janvier 2018 du ministre des Affaires étrangères, She Okitundu, désigne Mgr Fridolin Ambongo – un homme du cardinal Laurent Monsengwo – comme archevêque coadjuteur de Kinshasa.

Cela poussera-t-il Joseph Kabila à tenir les élections?

Il n’en veut pas, c’est clair. Mais trouvera-t-il une nouvelle échappatoire? Pour y arriver, il a mis plusieurs stratégies en place. D’abord, pour contenter la communauté internationale et relâcher sa pression, il fait publier un calendrier électoral qui fixe les élections au 23 décembre 2018, malgré les réserves du président de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante). Ensuite, avec la nouvelle loi électorale, il a réduit l’espace des élections en un étroit couloir taillé à sa mesure; mais il est bloqué par la Constitution qui lui interdit de se présenter à un troisième mandat et qu’il n’a pu changer malgré plusieurs tentatives depuis 2013. Troisième stratégie: il a encore renforcé en 2017 son appareil sécuritaire et on parle de milices dans certaines provinces du pays, qui tendent à se confondre avec la jeunesse du parti présidentiel PPRD. Enfin, et cette dernière stratégie n’est pas encore bien définie, Joseph Kabila veut faire du PPRD un parti-Etat, grâce aux fonds qu’il a amassés depuis qu’il est Président. Mais le PPRD n’est pas vraiment un parti, c’est un agrégat qui devrait exploser dès que seront connues les candidatures à la présidentielle (en juillet-août prochain selon le calendrier électoral). À ce moment-là, les adversaires de Kabila ne seront plus dans l’opposition, face à lui, mais dans son propre camp.

Déjà des cadres de la Majorité sont dans une position attentiste, voire subtilement distanciée par rapport au chef de l’Etat. Les tensions au sein du parti sont sensibles. Ainsi, pour commémorer la mort de Laurent Kabila, le 16 janvier dernier, le secrétaire général du PPRD Henri Mova – ex-ambassadeur de la RDC à Bruxelles – a voulu organiser une marche des jeunes du parti de la cathédrale protestante, où avait lieu la célébration officielle, au mausolée dédié au Président assassiné; le ministre de l’Intérieur, Emmanuel Ramazani Shadari, a refusé. Cela montre bien la compétition. Finalement, lors de la marche des chrétiens du 25 février dernier, Mova a bien utilisé ses jeunes PPRD en béret rouge, mais il l’a fait alors qu’il venait d’être nommé ministre de l’Intérieur, en remplacement de Ramazani Shadari, et que son successeur à la tête du PPRD n’était pas encore nommé (NDLR: ce sera finalement Ramazani Shadari).

Qui sont les candidats PPRD potentiels à la Présidence?

Tous font les yeux doux à Kabila, parce que c’est lui qui a l’argent et les moyens. On a parlé d’Augustin Matata, ancien Premier ministre, originaire du même secteur Bangubangu-Bahombo (province du Maniema) que Maman Sifa, la mère du chef de l’État. Il a redressé un peu l’image de la gestion gouvernementale, très abîmée par Gizenga et Muzito. Mais il vient de présenter une thèse de doctorat en économie, par laquelle il justifiait sa politique comme Premier ministre; le scandale causé par les “graves irrégularités” dans l’octroi du diplôme correspondant, en février dernier, est une catastrophe pour lui. Henri Mova reste en course. Originaire du sud du Katanga, il peut jouer cette carte. Mais en 2011, il a échoué à être élu député de Lubumbashi. Enfin, Aubin Minaku, élu député en 2006 et 2011, contrôle l’Assemblée nationale dont il est président. Originaire du Kwilu, il s’est aussi précipité pour obtenir un doctorat. Au Congo, le statut de professeur, comme le sont ces trois dauphins possibles, est important: c’est celui qui sait. Et il est stratégique pour le PPRD d’avoir des professeurs à opposer à ceux du Comité laïc de coordination, organisateur des marches de chrétiens qui ébranlent Joseph Kabila: les professeurs Thierry Nlandu, Isidore Ndaywel et Justin Okana – tous trois issus de l’ancien Bandundu.

Certains parlent d’Albert Yuma, patron de la Gécamines et de la Fédération des entreprises du Congo…

C’est un technocrate; il n’a pas de carrure politique. Il est dans les réseaux des affaires, oui, pas dans l’arène politique.

L’opposition semble fracassée.

Comme souvent en Afrique, elle a toujours été fragile. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de vrais partis politiques au Congo hors du pouvoir. Ce sont des associations conjoncturelles d’individus autour d’un leader (qui ne discute avec personne et laisse donc un vide quand il part) ; il n’y a pas d’idéologie. Les membres ne cotisent généralement pas; c’est le chef du parti qui distribue l’argent aux militants. Cet argent vient aussi des membres riches et/ou des ministres et députés quand on en a. Le Palu (NDLR: parti de Gizenga et Muzito) est un cas extrême : suite aux élections de 2006, les ministres et députés ont dû reverser initialement 40% de leur salaire au parti, dont la caisse était aux mains de Mme Gizenga, sans contrôle. Ce montant a diminué par la suite. Quand tu es chef de parti, on vient te voir pour recevoir de l’argent ou un poste, pas pour parler doctrine. Et un parti qui n’a pas accès aux caisses de l’Etat a beaucoup de difficultés à maintenir sa cohésion. C’est ce qui rend les dirigeants politiques si facilement achetables.

Dans ces conditions, vers quoi se dirige le Congo?

Contrairement au passé, le temps est aujourd’hui contre Kabila parce qu’il devra faire connaître son candidat à la Présidence. On semble formellement être parti vers des élections mais, pour le chef de l’Etat, c’est juste une annonce destinée à calmer l’opinion. Cependant, celle-ci ne veut plus patienter; sa pression sur le régime va croissant. On voit l’œuf qui se fendille. L’apparence-même de Joseph Kabila – barbe hirsute, cheveux non coupés – semble indiquer qu’il fait le deuil de son pouvoir. Ou est-ce le conseil de devins, afin d’intimider par son apparence? Comment partira-t-il? Un coup d’Etat? La fuite? Autre chose?

Peut-être les élections?

Je ne le vois pas les organiser. Il est devenu autiste. On l’a vu lors de sa conférence de presse du 26 janvier: il relisait ses notes, il se faisait plaisir à raconter son histoire selon laquelle il aurait sauvé la démocratie… Cela fait penser aux derniers temps des présidents Kasa-Vubu et Mobutu. Le vent secoue fort l’arbre Kabila; on sent qu’il va tomber mais on ignore dans quelle direction.

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