J’essaie de donner mon avis sur la question qui préoccupe les congolais actuellement, celle de savoir si le nouveau Président élu de la République Démocratique du Congo, le Président Felix-Antoine Tshilombo Tshisekedi sera un Président protocolaire, faible au regard de la majorité parlementaire qui lui échappe du moins jusque-là.

Le juriste Egundu Ikala a déjà abordé cette question dans son article sur les limites du pouvoir de chef de l’Etat en cas de cohabitation (7sur7 média en ligne le 22.1.2019).

Monsieur Engundu a bien exposé les faits en mettant en relief le risque de cohabitation difficile entre le Président de la République et le parlement à majorité Front Commun pour le Congo (FCC) en s’appuyant sur le texte des lois, ce qui est tout à fait normal pour un travail de juriste.

En ce qui me concerne, je voudrais analyser la même question ou la même réalité avec un œil de politologue, c’est à dire, je tente d’expliquer le fonctionnement des faits sociaux non pas comment ils doivent être selon la rigidité des textes mais selon le comportement de l’homme qui produit les faits sociaux. Cet homme caractérisé par une versatilité incommensurable basée sur les émotions, le débauchage, la corruption, la peur de l’inconnu, la religion etc.

Cet homme versatile est au cœur de l’enjeu politique, de la scène politique. C’est lui qui fait la loi, la respecte et la renie. C’est cet homme versatile qui compose la majorité parlementaire, la minorité CACH-LAMUKA et autres. Il est donc prêt à changer.

Avoir la majorité au parlement pour un Président de la République voudrait dire avoir le nombre le plus élevé des députés acquis à sa cause. La configuration du nouveau parlement congolais issu des élections du 30 décembre 2018 donne la majorité parlementaire à la coalition FCC qui a recueilli plus de 350 sièges.

L’UDPS et alliés qui soutiennent le Président Tshisekedi en a une cinquantaine. Ce qui fait qu’au sortir des urnes, le Président Tshisekedi a moins de députés que le FCC. Cette situation fait penser qu’il aura des difficultés pour faire appliquer son programme gouvernemental. Saura-t-il diriger ce pays alors qu’il est minoritaire au parlement ?

La réponse est oui, le Président Felix Tshisekedi pourra certainement gouverner la République Démocratique du Congo sans trop de difficultés même s’il est minoritaire au parlement, pour la raison suivante : Il faut considérer qu’il y a deux types de majorité au parlement. Il y a d’une part la majorité issue des urnes que j’appelle la majorité électorale, visible à la publication des résultats. Elle s’articule autour d’un individu, d’un parti politique ou d’une idéologie. D’autre part, il y a la majorité de fait qui siège dans l’hémicycle et qui est à la fois dynamique et mouvante. Elle est dynamique car soumise de manière permanente aux pressions externes et internes du parlement, elle peut changer de forme, grossir ou se rétrécir. Elle est mouvante, migratoire dans la mesure où elle peut adhérer à une nouvelle idéologie ou faire allégeance à un autre individu. C’est cette majorité parlementaire migratoire qui va certainement constituer un soutien indéniable aux différents projets du Président Tshisekedi.

Mode opératoire de la majorité parlementaire migratoire dans le contexte congolais actuel

La majorité parlementaire migratoire est une majorité de second degré qui intervient pendant la législature. Elle est conjoncturelle et se constitue autour de nouvelles idées, de nouveaux projets qui en suscitent l’adhésion.

Les parlementaires s’expriment à travers le vote des lois, des motions ou des projets gouvernementaux.

Le meilleur moyen pour le Président Tshisekedi de bénéficier de la majorité migratoire est de proposer des projets de développement conformes aux besoins des congolais. A côté des projets de développement que peut proposer le Président Tshisekedi, il y a des faits qui jouent en faveur de la cohabitation pacifique ou coalition et qui peuvent être considérés comme vecteurs de la majorité migratoire, c’est-à-dire des faits tangibles qui stimulent le consensus. Ces vecteurs sont :










Misère de la population

Monsieur Patrick Muyaya, député national nouvellement réélu aux élections de décembre 2018 dit « la pauvreté est notre pire ennemi » (Patrick Muyaya, 7sur7 journal congolais en ligne du 21.1.2019). La profondeur de la souffrance du peuple congolais va interpeller de manière permanente la conscience des parlementaires et les poussera à s’unir pour le bien commun.

Compte tenu de la situation sociopolitique de la République Démocratique du Congo, les parlementaires nouvellement élus, qu’ils soient du FCC, de Lamuka ou de l’UDPS et alliés sont disposés à adhérer aux projets de développement que proposera le Président Tshisekedi. Ils sont donc des potentiels « parlementaires migrants » qui vont conforter l’exécution de la politique gouvernementale.

L’ampleur de la misère en République Démocratique du Congo prédispose tout parlementaire à faire le bien, et je ne vois personne de quel que parti soit-il refuser de voter en faveur d’un projet de développement proposé par le Président Tshisekedi. Le Président n’aura même pas besoin de faire campagne au parlement pour avoir une majorité, il lui suffirait de proposer des projets de développement qui vont susciter l’adhésion de tous les parlementaires.

Quel est ce parti politique qui va donner des indications à ses députés de voter contre le projet de l’assainissement de la ville de Kinshasa, qui s’opposera aux projets de réforme positive de la santé, de l’éducation et de l’agriculture ? Quel parlementaire refusera de voter pour la construction du chemin de fer de Banana à Kasumbalesa ? La réalisation du projet de Grand Inga devrait obtenir l’accord de tout le monde. L’autoroute qui partira de Gbadolite jusqu’à Sakania avec des connections vers Tshela et Bukavu sera un projet fédérateur.

La majorité parlementaire se constituera donc autour des projets de développement, des pactes de lutte contre la pauvreté et l’insécurité sous toutes ses formes. Ces projets de développement sont en fait des pools de coalition. Autant il y aura des pools de coalition, autant le Président de la République régnera sur un parlement homogène.

L’état de dégradation absolue des infrastructures en République Démocratique du Congo, la famine, l’insécurité jouent en faveur de la mobilisation des parlementaires pour soutenir les projets de développement. Il y aura probablement une certaine opposition dans le parlement, mais celle-ci sera marginale, car la lutte contre la misère entrainera inéluctablement l’unité des parlementaires. Et cette unité confère au Président Tshisekedi le vrai pouvoir exécutif.

La « Co démocratisation » impose la collaboration

Il convient de souligner que l’élection du Président Tshisekedi s’opère dans le cadre du processus de démocratisation déclenché officiellement le 24 avril 1990.

Dans le processus de démocratisation, on ne gère pas seul, on fait participer les opposants à la gestion de l’Etat mais le pouvoir en place conserve toujours le monopole de décision. La démocratisation telle que vécue en République Démocratique du Congo ressemble à un processus de redistribution rentière, c’est-à-dire le pouvoir intègre les opposants dans la gestion de l’Etat en contrepartie d’un salaire.

Ces opposants ne peuvent mettre le pouvoir en péril car ne disposant d’aucune option décisionnelle. Le Marechal Mobutu nommait et révoquait tous les gouvernements de transition à sa guise. Le Président Joseph Kabila accepte le gouvernement d’union nationale, choisi seul ses opposants, c’est les cas des gouvernements Badibanga et Tshibala.

La minorité parlementaire qui accompagne l’élection du Président Félix Tshisekedi à la magistrature suprême le contraint à intégrer le processus de démocratisation où règne déjà majoritairement le FCC.

Il est obligé de coopérer et il en a conscience, cela explique d’ailleurs son attitude conciliante avec le FCC. Mais la nouveauté avec l’élection du Président Tshisekedi est le changement de nature du processus de démocratisation. Celui-ci se métamorphose en « Co démocratisation », c’est-à-dire un système de gestion de l’Etat qui emploie pacifiquement des adversaires politiques disposant chacun des capacités de nuisances réciproques.

La majorité parlementaire peut refuser de soutenir les projets du Président et ce dernier peut dissoudre le parlement. Monsieur Egundu Ikala dans son article précité a bien expliqué les prérogatives du président et du parlement dans la cohabitation.

Dans la « Co démocratisation », le président de la république et le parlement reconnaissent leurs faiblisses respectives et sont obligés de s’entendre. Chacun mesure ses limites et modère ses prétentions. Ils ont tous peur de perdre leur travail, de retourner au chômage et de ne plus avoir la chance de revenir aux affaires.

Cette réalité de « Co démocratisation » serait aussi la même si Mr. Martin Fayulu Madidi était élu président de la République Démocratique du Congo car les députés Lamuka sont aussi minoritaires par rapport à ceux du FCC.

C’est l’image d’un avion en plein vol où il y a deux acteurs, le pilote et les passagers, chacun disposant de la capacité à mettre en péril le voyage. Pour atteindre leur destination, ils sont obligés de rester en harmonie pendant tout le vol. Personne ne saura prévoir l’issu après un accident sciemment provoqué par l’un de deux acteurs.

Incontournable cohabitation



La question importante qu’il faut se poser ici est celle savoir pourquoi on en est arrivé là ? Pourquoi le FCC se trouve-t-il contraint de composer avec le CACH ? Pourquoi le FCC qui a l’armée, les finances, les services de sécurité a renoncé à imposer Mr Emmanuel Shadary comme victorieux de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 ? Pourquoi le Président Joseph Kabila n’a pas fait comme ses homologues de l’Afrique Centrale?

La réponse est la suivante, c’est parce que le Président Joseph Kabila a refusé de tout perdre, il a eu peur de l’inconnu, il a sagement par instinct de survie choisi de respecter la constitution, de « Co démocratiser », bref, c’est un politique, un vrai. Le choix des élections, l’option de « Co démocratisation » l’ont contraint avec son FCC au compromis.

Sa foi au compromis et sa peur de l’inconnu qui le hante constituent le socle de la cohabitation pacifique entre le FCC et le CACH. On comprend dès lors pourquoi le président Joseph Kabila, dans son discours à la Nation du 23 janvier 2019 va même au-delà de la cohabitation en souhaitant carrément la formation d’une coalition entre le FCC et le CACH.

Cette peur restera permanente aussi longtemps que la situation sociopolitique des congolais ne va pas s’améliorer. Sur base de cette réalité l’autorité morale du FCC n’aura nullement intérêt à casser ce compromis ce qui placera le Président Félix Tshisekedi dans une position confortable pour diriger le pays.

Les parlementaires ne sont pas non plus épargnés par cette peur de l’inconnu qui va les contraindre également au compromis. Il convient de souligner que siéger au parlement est avant tout un poste de travail qui procure salaire et avantages.

Les parlementaires de manière générale ne sont pas prêts à perdre leur travail sous menace de dissolution du parlement par le Président de la République surtout qu’ils n’ont aucune garantie d’être réélus à la prochaine législature. La crainte du chômage prédispose les parlementaires à coopérer avec le président. Ce dernier aussi ne va pas entrer en collision avec le FCC au risque de s’affaiblir.

Alerte populaire

Un autre vecteur qui va militer en faveur de la cohabitation CACH – FCC c’est la surveillance populaire.

La surmédiatisation des faits politiques par les interlocuteurs de la misère fera peur à la coalition CACH – FCC de s’affronter (Facebook, WhatsApp, tweeter, radio, télévision, presse écrite, etc.). La population sera informée dans l’immédiat sur une maladresse au parlement ou au gouvernement.

La surveillance populaire est surtout l’œuvre des journalistes dits engagés et certains acteurs de la société civile notamment les confessions religieuses avec l’église catholique en tête que j’appelle les interlocuteurs de la misère congolaise.

Les interlocuteurs de la misère ont joué un rôle considérable de mobilisation préélectorale et ont sûrement influencé le vote des congolais. Certains d’entre eux sont au parlement et sont loin de se taire. Leur présence au parlement amènera de la discipline et sont prêts à alerter le peuple au moindre dérapage.

La seule option pour le Président Félix Tshisekedi ainsi que la majorité parlementaire d’accomplir avec succès leurs mandats respectifs pour cette législature qui s’ouvre est de s’entendre et c’est possible.

Dr. Dinanga Cingoma (E-Mail : dicingoma@gmail.com )
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