Deux ans après son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi est plus que jamais esseulé dans sa volonté de changer les choses. De ses proches qui tombent en disgrâce, à une coalition au pouvoir qui s’effondre, le Chef de l’Etat met cap vers une « Union Sacrée » fangeuse et une guerre politique que lui font livrer ses partenaires. Le fils du Sphinx est plus que jamais le seul doigt qui tente de laver le visage très sale du Congo.









Mai 2009. Au pouvoir depuis huit ans, le taiseux Joseph Kabila commence alors à l’ouvrir. Et cet homme qui récupère à peine les pleins pouvoirs a des comptes à régler. Deux fois, en moins d’un mois, tantôt à New York Times, tantôt au journal belge « Le Soir », le fils de Mzee se lâche. « Notre plus grande erreur, c’est que nous n’avions pas trouvé assez de temps pour transformer et former nos propres cadres. On n’a pas besoin d’un millier de personnes pour transformer un pays. Non, on a besoin que de 3, 4, 10, 15 personnes avec des convictions, déterminées et résolues. Ai-je ces 15 personnes ? Probablement, 5, 6, 7 mais pas encore 15 ». La sortie fait mouche au pays où l’antipathie monte autour de ce président, qui peine à trouver des solutions aux multiples problèmes des Congolais. Ainsi, il aurait alors mis huit ans à chercher 15 collaborateurs ! Les faits resteront têtus. La sortie le collera à la peau. Mais dans un pays où le Chef assume tout, nul ne l’épargne. D’autant plus qu’il ne revient à nul autre que lui-même de révoquer des personnes qui ont failli.


Kabila et ses corrompus

Deux ans plus tard, le 20 décembre 2011, lorsqu’il prête serment à l’issue d’une réélection difficile, Joseph Kabila hausse à nouveau le ton. « Les portes de prisons seront désormais ouvertes », promet-il à ses propres proches. En juin 2015, le même Kabila porte cette fois-là plainte contre plusieurs de ses proches pour corruption. Quatre gouverneurs sont nommément visés: Moïse Katumbi Chapwe (Katanga), Alphonse Ngoy Kasanji (Kasaï-Oriental,), Alex Kande (Kasaï-Occidental,) et Marcellin Chisambo Ruhoya (Sud-Kivu). La plainte, adressée au nom du président par son conseiller spécial Luzolo Bambi, visait également l’ancien directeur de cabinet de Kabila, Gustave Beya Siku, et une quinzaine d’autres personnes, parmi lesquelles d’anciens hauts fonctionnaires.

Mais, à l’arrivée, cette plainte fera un flop. Personne, parmi les accusés, ne sera interrogé. Pourquoi ? Et bien c’est simple. Le Congo est d’abord une affaire de politique. Lorsqu’il dépose sa plainte, Joseph Kabila voit Moïse Katumbi et plusieurs de ses proches faire scission et rejoindre l’opposition. Ils le tiendront désormais responsable de l’échec de son mandat, réclamant son départ. Alors que la date fatidique de 2016 approchait, symbolisant la fin de mandat de ce président qui aurait alors trop duré au pouvoir, la Communauté internationale et la majorité des Congolais se lancent dans la bataille politique, purifiant et sanctifiant d’anciens compagnons de Kabila, au point d’oublier la fameuse plainte. Soupçonné, parfois avec raison, de ne pas vouloir quitter le pouvoir, Joseph Kabila a le dégoût lors de sa toute dernière conférence de presse en tant que Président à Kinshasa, constatant finalement son échec. Celui de ne pas avoir pu : « changer l’homme Zaïrois ». Et comme il était alors inaudible, Kabila provoquera la furie de ses adversaires, qui ne daignent même pas analyser sa sortie.

Janvier 2019, au Palais du peuple, le Congo tente de relever la tête. Pour la première fois de son histoire, il connaît alors une alternance, une passation de pouvoir entre un président entrant et ce Kabila qui sortait. Comme à chaque début, l’espoir est permis. Il renaît même, de la part d’un peuple légendairement résilient. « Ce nouveau président n’est pas comme l’autre », jure-t-on dans les rues de Kinshasa. « C’est le fils du Sphinx ». Le Sphinx, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, c’est le véritable père de la démocratie congolaise. Ou du moins, le premier combattant de la liberté. Lui qui s’est levé un matin, et a tenu un meeting pour dénoncer Mobutu, lançant alors le mouvement inarrêtable vers la démocratisation du Zaïre.  Alors oui, son fils, Félix Tshisekedi, ne peut que tout prendre de lui. Comment faire autrement, quand on s’extirpe des cuisses d’un tel jupiter ! Et Tshilombo l’avait bien saisi. Pendant la campagne, il ne mâche ses mots. « Que tu sois proche ou pas, si on t’attrape dans la corruption, tu vas à Makala », jure-t-il. Makala, c’est la prison symbole de Kinshasa.
Mais Félix Tshisekedi ne s’y attendait sans doute pas. Le premier à aller à Makala ne viendra pas du camp présumé corrompu de Kabila. Dieudonné Lobo, Coordonnateur administratif des services personnels du Chef de l’Etat, est l’heureux élu, pour « faux et usage de faux et association des malfaiteurs ». Après lui, une avalanche. Tantôt des scandales, des révélations, tous tournant autour des sommes d’argent, tantôt Vital Kamerhe, son propre Directeur de cabinet, qui finit écroué, n’ayant que la politique comme justification d’une disparition de plusieurs millions de dollars alloués au programme de 100 jours de son « ami » Tshisekedi. Le Congo est ahuri. Le mal incarné, la famille politique de Kabila, n’était pas seule à « voler ». D’autres s’inventent des ailes et tentent de les imiter.

Coincé entre l’Amérique, Kabila et Katumbi

Mais au lieu de se ressaisir, le Président est tout de suite plongé dans une guerre politique dont le Congo seul a le secret. Car si Joseph Kabila était devenu inaudible dans sa lutte tardive contre la corruption, il devait alors faire face à une guerre farouche entre lui et son ancien bras droit Moïse Katumbi. Dans ce combat à mort, Washington, faiseur de rois, a choisi son camp. Et lorsqu’il crût acculer Kabila, postant des marines à Libreville, en attendant une intervention militaire pour tout renverser,  il se retrouva face à l’alternance démocratique.  Mais l’oncle Sam ne décolère pas. Avec un Ambassadeur tout feu tout flamme à Kinshasa, il tente alors une mêlée pour « en finir » avec l’ennemi de Katumbi. Une étrange guerre dualise alors le nouveau Chef de l’Etat, qui cherche une solution pour freiner la marche du Congo vers le gouffre. Félix Tshisekedi, qui témoigne alors d’une volonté immense de changer les choses, n’a que l’Amérique comme soutien. Et cette Amérique l’embarque ainsi vers une mission de déboulonnage supposée.
Par ailleurs, à Kinshasa, à Washington et un peu partout, le nouveau président prend le pouls du monde, en quête d’investissements. Des nerfs de sa guerre contre la fatalité au Congo. Mais il se heurte à la réputation de Kabila. Personne ne veut revenir au Congo avec cet ancien président qui parade toujours dans les rues du pays, dans l’ombre du pouvoir. A Tshisekedi, on lui colle alors l’étiquette de « pantin ». Il faudra compter sur Martin Fayulu, dont les revendications de victoire à la présidentielle de décembre 2018 n’arrangent pas les choses. Tshisekedi tente de se faufiler sur deux tableaux : il veut déboulonner le système Kabila depuis Washington, et resserrer les liens autour de son alliance avec la coalition de ce même Kabila depuis Kinshasa.   Mais les jours passent et le fiasco pointe son nez. Car s’il est bien partagé entre les deux, Tshisekedi file également droit vers un mur du fiasco de son mandat. Outre son programme de 100 jours qui a pris l’eau, il y a d’abord la coalition de Kabila, composée toujours des personnes contre qui l’ancien président avait lui-même porté plainte. De l’autre côté, à Limete, au cœur du Tshisekedisme, on n’excelle pas en qualité. Et voilà que le pouvoir s’embourbe. La situation se complique.

En levant la tête, Tshisekedi décide de choisir. Entre Washington qui veut terminer sa guerre avec Kabila, des Kabilistes qui veulent conserver le pouvoir, l’ancien gouverneur du Katanga qui lorgne sur la Présidentielle de 2023, et tant d’autres, le président congolais choisit : l’Union Sacrée. Une union sans contour, pleine de détours. Tshisekedi cherche à faire bouger les lignes. Changer de majorité parlementaire, sortir de la cage où Kabila l’a placé et brisé la chute. Mais cette union, qui devrait être encrée sur des valeurs, se forme autour d’une majorité cosmopolite de tout ce que le Congo a connu de mal. Il y a, d’un côté, la coalition de Moïse Katumbi, qui trouve ses racines chez Joseph Kabila ; de l’autre, une centaine d’élus de la coalition de ce même Kabila qui jure fidélité au président. Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président, y vient à la pointe des pieds. Le cocktail Molotov affligeant augure déjà un éternel recommencement. On y parle déjà quota, postes, et redistribution. Et pour ne rien arranger, le Congo a le luxe de voir un proche du président, nommé à la Cellule anticorruption, être filmé dans une affaire qui le ferait passer pour le premier corrompu du pays.

Laver le visage avec un seul doigt

« On ne peut pas se laver le visage avec un doigt », dit un proverbe africain. Pour autant, au regard de ce tableau sombre de la situation en RDC, la volonté de Félix Tshisekedi à changer les choses s’incarne à ce doigt esseulé, tentant de laver un visage aussi sale. Entre des proches qui ont en rêve d’imiter des Kabilistes dénoncés et des futurs anciens Kabilistes qui rêvent de se métamorphoser et de demeurer dans le giron politique, le fils du Sphinx n’aurait d’autre choix que de renouer des liens avec d’autres anciens Kabilistes, basés cette fois à  Kashobwe, mais qui ne rêvent que de le voir échouer, afin de leur laisser un grand boulevard pour la Présidentielle de 2023. Il y a certes ce Peuple qui le soutient, de temps en temps. Qui acclame quand le Président envoie ses propres proches en prison. Qui n’a pas oublié les visages et les actes de chaque politique. Ce peuple qui aspire toujours au changement et tient réellement l’accompagner. Ce dernier choix serait sans doute l’issue. Mais ce peuple non plus n’est pas si exempt de reproche : d’un incivisme à faire mouvoir le Penseur de Rodin, il a surtout les pouvoirs qu’il mériterait.

La plume qui gratte ici va pourtant jusqu’au fond. Car résumer le Congo entier à des choix et guerres politiques reviendrait à lui retirer toute possibilité d’avenir et de sursaut. En refaisant notre lecture, en étant plus « malin » que les politiques, nous comprendrons alors qu’il s’agit d’un jeu cyclique dangereux. Les uns buvant et mangeant le Congo avec les autres, jusqu’à ce qu’ils sautent, tels de singes, sur une branche beaucoup plus solide et se mettent à refaire la même chose.

En effet, dès l’indépendance en 1960, le divin a projeté au pouvoir des présidents remplis de volonté, mais qui ont souvent succombé, face à un fleuve d’individus qui n’ont réellement jamais eu la même vision, ni la volonté de faire avancer le Congo. Et aujourd’hui, comme avec Joseph Kabila, Laurent-Désiré Kabila, Joseph-Désiré Mobutu, Joseph Kasa-vubu et son frère Patrice Emery-Lumumba, l’histoire se répète, avec les mêmes guéguerres, alimentées par les mêmes puissances extérieures, entourées des mêmes opportunistes : d’anciens futurs opposants qui lorgnent sur le fauteuil présidentiel, aux vautours qui cherchent des os à ronger… il ne restera plus que le sursaut ! Oui ! Ce déraillement possible de l’histoire. La reconnaissance de nos défauts, en dénonçant les guerres inutiles et en recentrant le problème autour des vrais enjeux.

Si Kabila n’avait envoyé personne en prison, instaurant l’impunité, Félix Tshisekedi a encore le cœur naïf qui alimente sa volonté de changement. Autour de cela, il convient désormais de bâtir un sursaut patriotique. Un sursaut d’Union réellement Sacrée. Mais une union autour des vraies valeurs, loin des calculs politiques et de règlements des comptes. Une union qui pourra ouvrir les portes de prison à l’impunité et qui enfoncera les opportunistes. Une union de défenseurs du changement. Le vrai, sans Diktats, ni influences. Une Union vers la liberté, le développement. Une Union des mérites et de la vérité. Oui ! Je le sais, il s’agit certes d’une utopie.  

Litsani Choukran,



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