La République démocratique du Congo (RDC), qui détient 70 % des réserves mondiales de cobalt, a décidé de suspendre les exportations de ce minerai stratégique pour une durée de quatre mois. Cette mesure, annoncée le week-end dernier par l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (AERCOMS), vise à réguler un marché en proie à une chute drastique des prix.
Contexte : une chute vertigineuse des prix
Le cobalt, essentiel pour la fabrication des batteries électriques et la transition énergétique mondiale, a vu son prix divisé par quatre en trois ans. Alors qu’une tonne de cobalt se vendait 71 620 USD en février 2022, atteignant même 81 809 USD en avril de la même année, son prix est aujourd’hui tombé à 21 388 USD. Cette baisse est principalement due à une surabondance de l’offre sur le marché international, notamment causée par la production massive de la Chine.
Pour la RDC, cette chute des prix a des conséquences économiques directes. « La redevance minière sur les minerais stratégiques et les 10 % pour les générations futures constituent un flux financier très important pour le gouvernement congolais », explique Jean-Pierre Okenda, directeur de la Sentinelle des ressources naturelles.
Une mesure saluée par certains acteurs
La décision de suspendre les exportations de cobalt, qu’elles soient industrielles, semi-industrielles, à petite échelle ou artisanales, est accueillie positivement par certains acteurs de la société civile.
« Sur le plan économique, c’est une bonne décision. La Chine a vraiment inondé le marché mondial. C’est important que la RDC cherche à réguler ses exportations », déclare un expert du secteur minier. Maître Shadrack Mukad, responsable de l’association CASMIA (Comprendre et Agir ensemble dans les secteurs miniers), approuve également cette mesure. Il souligne cependant un problème spécifique au secteur artisanal : « Le cobalt artisanal est souvent vendu avec du cuivre, mais seul le prix du cuivre est fixé. Le cobalt est donc cédé gratuitement, ce qui aggrave la situation. »
Des conséquences économiques potentielles
Si la suspension des exportations vise à stabiliser les prix, elle n’est pas sans risques pour l’économie congolaise. Donat Kambola, défenseur des droits humains, craint un impact négatif sur les revenus nationaux et locaux. « Pendant la suspension, les entreprises minières ne vont pas payer la redevance minière sur le cobalt. Les entités locales qui dépendent de ces revenus en seront privées, ce qui pourrait provoquer une crise économique », explique-t-il.
D’autres acteurs, cependant, estiment que la mesure pourrait être bénéfique à long terme. « Avec la chute drastique du prix, les redevances sont déjà très faibles. Une suspension temporaire permettra de mieux valoriser le cobalt lorsque les prix remonteront », soutient un autre expert.
Impact sur les grands producteurs
La suspension pourrait également affecter les grands producteurs de cobalt en RDC, comme le groupe chinois CMOC, premier producteur mondial en 2024 avec plus de 114 000 tonnes. CMOC prévoyait d’augmenter sa production à 120 000 tonnes en 2025. Bien que la mesure ne concerne pas la production, certains analystes craignent un stock excédentaire après la levée de la suspension, ce qui pourrait entraîner une nouvelle baisse des prix.
Perspectives
La décision de l’AERCOMS reflète la volonté de la RDC de reprendre le contrôle sur un marché stratégique pour son économie. Cependant, son succès dépendra de la capacité du gouvernement à équilibrer les intérêts nationaux et locaux, tout en évitant des perturbations majeures pour les acteurs industriels et artisanaux.
À court terme, la suspension pourrait entraîner des difficultés financières pour certaines communautés et entreprises. À long terme, elle pourrait permettre à la RDC de mieux valoriser ses ressources et de renforcer sa position sur le marché mondial du cobalt.