
Selon une enquête d’Human Rights Watch (HWR), de hauts responsables de la police congolaise, dont le général Célestin Kanyama, auraient recruté des jeunes délinquants pour agresser les opposants qui manifestaient pacifiquement à Kinshasa le 15 septembre
Et si les autorités congolaises avaient cherché à semer le terreur dans une manifestation de l’opposition ? L’accusation est grave, mais elle vient corroborer les nombreuses déclarations de témoins de la grande manifestation de l’opposition, place Sainte-Thérèse le mois dernier – voir notre article. Le 15 septembre 2015, de violents incidents avaient éclaté en marge d’un important rassemblement des principaux partis d’opposition (UNC, MLC, Ecidé, Fonus… ). Les manifestants demandaient au président Joseph Kabila de respecter la Constitution en ne briguant pas de troisième mandat. A la fin du rassemblement, un groupe de jeunes, armés de gourdins et de bâtons s’en sont pris violemment aux manifestants. Une dizaine d’opposants ont été blessés lors ces échauffourées.
« 65 $ pour chaque recrue »
A la suite de cette attaque, Human Rights Watch (HRW) a mené l’enquête, interrogé les témoins, les victimes, les médecins, mais aussi les assaillants. Des agresseurs qui ont reconnu faire partie d’un groupe « de plus de 100 jeunes recrutés par de hauts responsables de la sécurité et des responsables du PPRD (le parti présidentiel, ndlr) ». Une opération rémunérée 65 $ pour chaque « recrue ». Ces jeunes affirment à HRW avoir été « rassemblés dans un camp militaire à Kinshasa la nuit précédente et avoir reçu des instructions sur la manière de mener l’attaque. Un moyen de transport a été mis à la disposition des recrus le lendemain matin, pour les conduire jusqu’au quartier où la manifestation de l’opposition se déroulait ». Un indice avait frappé les nombreux témoins de la manifestation : la police, présente sur les lieux, étaient restée « passive » lors de l’attaque. Elle n’avait fini par intervenir qu’une fois que « les manifestants en colère s’en sont pris aux assaillants et ont commencé à les frapper ». Selon HRW, des membres de la Ligue des Jeunes du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila faisaient partie des assaillants.
« Le corps appartient à l’État ; n’y touchez pas »
Dans le viseur d’Human Rights Watch, on retrouve également le patron de la police de Kinshasa, le général Célestin Kanyama. Il figurerait « parmi au moins trois hauts responsables ayant participé au rassemblement du recrutement la nuit précédant la manifestation et qui avaient donné des instructions sur la façon de mener l’attaque » selon HRW. De triste réputation, le général Kanyama avait déjà été mis en accusation lors de la violente répression policière des manifestations de janvier 2015 contre la loi électorale, où quarante morts étaient à déplorer. Lors de la manifestation de septembre, un des assaillants est décédé à la morgue de Kinshasa. Un employé a témoigné aux enquêteur d’HRW : « Ils nous ont dit que personne ne devait toucher le corps et que nous devions le mettre de côté. Ils ont ajouté : « Le corps appartient à l’État ; n’y touchez pas ». Ils ont même écrit sur un papier qu’ils ont disposé près du corps : corps de l’État ». Pour le gouvernement congolais, cette nouvelle charge de l’ONG serait « politiquement motivée » et « pas crédible ». Dans une déclaration recueillie par l’AFP, le porte-parole du gouvernement a estimé être « intéressé par toute dénonciation fondée sur des faits vérifiables pour permettre à la justice de faire son travail ».
Répression politique accrue
Mais ce que dénonce HRW, c’est « la répression croissante à l’encontre des personnes qui s’opposent à un troisième mandat de Kabila ou à tout report des élections nationales prévues en novembre 2016 ». Depuis les violentes manifestations de décembre 2014 et janvier 2015 qui ont obligé le gouvernement à retirer un texte litigieux dans le projet de loi électorale, une quinzaine d’activistes et de leaders politiques « ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires ». Ils s’opposaient tous, publiquement, au troisième mandat du président Joseph Kabila. Dans cette liste que publie Human Rights Watch, on retrouve Vano Kalembe Kiboko, Ernest Kyaviro, quatre jeunes militants de la Lucha, deux autres du mouvement Filimbi, Christopher Ngoyi et Cyrille Dowe, mais aussi un ancien membre de la majorité présidentielle, Jean-Claude Muyambo, trois étudiants de l’Université de Kinshasa ou encore le rappeur et artiste congolais, Junior Mapeki.
« Jusqu’où es autorités sont capables d’aller pour stopper les manifestations ? »
Ce climat délétère qui règne depuis plusieurs mois à Kinshasa repose essentiellement sur l’avenir incertain de l’élection présidentielle de novembre 2016. Si la Constitution actuelle ne permet pas au président Joseph Kabila de se représenter, beaucoup pensent, dans l’opposition mais aussi dans la majorité, que le chef de l’Etat souhaite contourner cette interdiction en retardant le calendrier électoral et en instaurant une période de transition. Certains craignent aussi que le président congolais soit tenté par modifier la Constitution, via un référendum, dont un projet de loi est actuellement porté par deux députés de la majorité. En conclusion son enquête, Ida Sawyer, chercheuse de la division Afrique d’Humain Rights Watch, estime que « Les citoyens congolais ont le droit de manifester pacifiquement à propos des limites du mandat présidentiel sans se faire attaquer par des voyous recrutés à cet effet. L’implication apparente de hauts responsables de la sécurité et du parti au pouvoir dans les attaques violentes montre jusqu’où les autorités sont capables d’aller pour stopper les manifestations de l’opposition ». Afin d’éviter de nouveaux dérapages, l’ONG appelle les casques bleus de la Monusco à venir sécuriser les prochaines manifestations de l’opposition.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia