Pour une première, l’interview accordée le 18 septembre 2017 par le Premier ministre à Christophe Boisbouvier en est une. Assurément, l’intervieweur-vedette de Rfi s’attendait à tout de la part de cet homme, sauf à un debater redoutable. Une certaine opinion en est même venue à se demander pourquoi a-t-il mis près de cinq mois pour mettre les points sur les i ou remettre les pendules à l’heure. De Félix Antoine Tshilombo, il dit : "Ce monsieur Félix est un grand traître". Il relève qu’à l’Udps, l’option avait levée à ce qu’"après la disparition du docteur Duvalier [de Haïti] que l’on connaisse encore des Bébés Doc au sein de l’UDPS, c’est un parti démocratique et révolutionnaire. Voilà pourquoi je considère que, s’il y a quelqu’un qui a trahi, c’est bel et bien monsieur Félix". Il lui fait le reproche d’avoir tissé "des liens, des alliances contre nature avec des gens qui ne sont pas de notre idéologie". Du G7, il est davantage critique. "...le courant humaniste et Tshisekediste que j’anime avec Joseph Olenga Nkoy et les autres, et le courant pro-Katumbi qui est un courant matérialiste, composé de gens qui ne sont pas des opposants, qui sont venus à l’opposition il y a moins de deux ans !", décrète-t-il. Rappelant qu’il a fait une quinzaine de fois la prison dans son "long combat pour la démocratie dans notre pays", il revendique sa qualité de cofondateur de l’Udps et la conformité de sa primature avec l’Accord du 31 décembre 2016. Et de lancer à la cantonade : "il n’y a personne d’autre qui peut se targuer de totaliser autant d’années". Voici le texte intégral de l’interview d’anthologie :
Omer NSONGO DIE LEMA/Analyste

B.Tshibala : "un calendrier réaliste dans quelques jours" pour des élections en RDC

Au Congo Kinshasa, le Premier ministre Bruno Tshibala est très décrié par l’opposition, qui lui reproche de s’être rallié au président Kabila. Pourtant, cet ancien compagnon d’Etienne Tshisekedi tient à montrer sa différence au sein du régime. Ainsi annonce t-il sur RFI un arrangement possible sur les dossiers de l’exilé Moïse Katumbi et du prisonnier Eugène Diomi Ndongala. De passage à Paris, le Premier ministre congolais répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Le 31 août dernier, votre vice-Premier ministre a cosigné un communiqué annonçant la publication d’un calendrier électoral incessamment. On en est où aujourd’hui ?
Bruno Tshibala : Nous allons procéder à l’évaluation du processus et ainsi annoncer un calendrier réaliste dans quelques jours.

Dans quelques jours, c’est-à-dire d’ici la fin de ce mois de septembre ?
C’est fort possible qu’il y ait la deuxième réunion d’évaluation, parce que la première a eu lieu, pour annoncer le calendrier électoral réaliste.

Ce calendrier électoral réaliste, ça veut dire d’ici la fin de cette année ou pas ?
Le calendrier réaliste, c’est-à-dire que nous devons tenir compte de toutes les contraintes. La Céni a enrôlé 39 millions des 41 millions attendus. Malheureusement, dans la province du Kasaï central, il y a eu ce que vous avez suivi. Après avoir terminé l’ensemble de l’enrôlement, on pourrait annoncer un calendrier qui tient compte de toutes les contraintes générales.

L’opposition est à bout de patience. Le 5 septembre, Félix Tshisekedi a déclaré : "L’heure est plus que grave, nous n’allons plus accepter aucune négociation. Kabila doit partir".
C’est une déclaration à l’emporte-pièce. S’il y a des contraintes qui font que l’on ne puisse pas organiser ces élections à la date convenue, donc au plus tard au mois de décembre, ce n’est pas une raison pour dire que nous sommes au bout du souffle, et que monsieur Kabila doit partir. L’accord dit que le président Kabila reste en fonction jusqu’à la tenue des élections générales. Donc, pour nous, l’accord a mis fin à la logique de la confrontation, nous avons opté pour la gestion concertée et consensuelle des affaires de l’Etat jusqu’à la tenue des élections générales.

Donc il n’y aura pas d’élections générales avant le 31 décembre ?
Tout doit être mis en œuvre pour que nous puissions avoir cette élection. Mais s’il y a des raisons techniques qui militent en faveur d’un report, il appartiendra à la Céni de dire à quel moment nous allons organiser cette élection.

La société civile congolaise déplore l’application calamiteuse de l’accord du 31 décembre et estime que le président Kabila cherche, non pas à préparer son départ, mais à renforcer son pouvoir.
Il s’agit là d’un procès d’intention. Le président Kabila est déterminé à appliquer l’accord qui a été signé avec son implication personnelle.

Autre couac dans l’application de l’accord du 31 décembre dernier : votre nomination en avril dernier. Selon l’accord, le Premier ministre doit être issu du Rassemblement de l’opposition. Or, vous êtes un dissident de ce Rassemblement !
Pas du tout ! Lorsque le président Etienne Tshisekedi est décédé, le 1er février, nous avions convenu au niveau du Rassemblement - c’est moi qui présidais les réunions ! - que nous ne ferions rien jusqu’à l’enterrement de notre président. Et ça se passe comme ça dans tous les pays, dans toutes les cultures. Mais avant que le président ne soit enterré, une partie du Rassemblement se permet d’initier une réforme inopportune et immorale. Cette réforme a été à la base de la scission que nous avons connue ! Il y a eu des courants, le courant humaniste et Tshisekediste que j’anime avec Joseph Olenga Nkoy et les autres, et le courant pro-Katumbi qui est un courant matérialiste, composé de gens qui ne sont pas des opposants, qui sont venus à l’opposition il y a moins de deux ans ! Donc les historiques de l’opposition, les légitimes, se retrouvent dans l’autre courant, le courant qui se réclame du président Tshisekedi. Donc la nomination du Premier ministre en la personne de Bruno Tshibala que je suis, a été conforme à l’accord. Et le président Kabila a choisi, à ce jour, le doyen des opposants congolais. Parce que je totalise - il n’y a personne d’autre qui peut se targuer de totaliser autant d’années - 36 ans de combat aux côtés de Tshisekedi pour l’avènement de l’Etat de droit et la bonne gouvernance en RDC.

C’est vrai que vous êtes un vieux compagnon d’Etienne Tshisekedi. Je crois que vous avez même fait de la prison il y a encore un an. C’est cela ?
C’est la quinzième fois que je fais de la prison dans mon long combat pour la démocratie dans notre pays.

Mais après la mort d’Etienne Tshisekedi, un mois plus tard - le 4 mars - vous avez été exclu par votre parti UDPS !
Je suis cofondateur historique de l’UDPS….

Certes, mais vous avez été exclu…
Le jour où l’on a créé l’UDPS, j’étais là. Et donc, après la mort du président Etienne Tshisekedi, qu’est-ce qui devait se faire ? Je parle des statuts dont je suis rédacteur principal avec le président Tshisekedi. Ces statuts stipulent qu’en cas de décès, au terme de 30 jours, un congrès extraordinaire est convoqué pour élire le nouveau président. Pour ne l’avoir pas fait, nous nous retrouvons dans une crise juridique et institutionnelle. Personne ne peut prendre une quelconque décision ! Voilà pourquoi la décision à laquelle vous faites allusion, c’est une ânerie. Je suis en train de m’organiser en tant que le plus ancien membre du parti, en tant que cofondateur historique du parti, pour convoquer le congrès extraordinaire du parti.

Mais pour la plupart des militants UDPS, le successeur d’Etienne, c’est son fils Félix. Or, celui-ci vous considère comme un traître !
Ce monsieur Félix est un grand traître. Parce que d’abord la plupart des membres du parti n’acceptent pas qu’à l’UDPS, on puisse pratiquer une sorte de népotisme, qu’après la disparition du docteur Duvalier [de Haïti] que l’on connaisse encore des Bébés Doc au sein de l’UDPS, c’est un parti démocratique et révolutionnaire. Voilà pourquoi je considère que, s’il y a quelqu’un qui a trahi, c’est bel et bien monsieur Félix. Parce qu’il est allé tisser des liens, des alliances contre nature avec des gens qui ne sont pas de notre idéologie. Des membres du G7 de Moïse Katumbi, qui sont des ultras libéraux. Alors que l’UDPS tout le monde le sait, est membre de l’Internationale socialiste, donc composé de socialistes.

Il n’y a pas que vos anciens camarades de l’UDPS qui vous considèrent comme un faux frère. Les évêques de la Cenco eux-mêmes, donc les artisans de l’accord du 31 décembre dernier, affirment que votre nomination est une entorse à la mise en œuvre de cet accord.
Mais ils se sont déjugés par rapport à cette affirmation.

Mais ils l’ont dit.
Aujourd’hui, posez la question à la Cenco. Ils vous diront que c’était une erreur de penser ainsi ! A ce jour, la Cenco sait que l’homme qui a présidé les travaux de Genval [les travaux de l’opposition, en juin 2016, en Belgique] et qui devait exercer les fonctions de Premier ministre n’est autre que Bruno Tshibala, compagnon de lutte de Tshisekedi pendant 36 ans.

Le chef de la Démocratie chrétienne, Eugène Diomi Ndongala, est aussi pour vous un vieux compagnon de route, sa condamnation à 10 ans de prison est très controversée. Est-ce qu’il va rester en prison jusqu’en 2024 ?
Il avait été convenu au niveau du dialogue que les évêques, avec le ministre de la Justice, garde des Sceaux, monsieur Alexis Thambwe Mwamba - qui est un de mes meilleurs ministres - devaient se concerter pour voir comment régler les cas qui n’étaient pas faciles, lorsque ces cas présentent une ambiguïté entre le droit commun et les infractions politiques. Eugène Domi Ndongala - compagnon comme vous venez de le dire avec raison - se retrouve dans cette situation avec monsieur Katumbi, des cas qui présentent une certaine ambiguïté. Est-ce le droit commun, est-ce les infractions politiques ? Donc nous sommes en train de travailler là-dessus pour que ces cas emblématiques soient réglés. Et je pense qu’avec les évêques, avec le ministre de la Justice, on arrivera à trouver un compromis qui permette que ces cas soient effectivement réglés.

Les cas emblématiques de Diomi Ndongala…
Diomi et monsieur Katumbi. Ces deux cas emblématiques.

Vous êtes originaire du Kasaï oriental et l’on sait que la province du Grand Kasaï a été ravagée ces douze derniers mois par des violences meurtrières. Est-ce seulement la faute aux miliciens Kamuina Nsapu ?

Essentiellement. Il n’est pas possible que, pour un conflit banal de disputes de pouvoir coutumier, que l’on arrive à des drames, à des tragédies telles que nous avons connues avec les miliciens Kamuina Nsapu. Il est vrai qu’il y a eu quelques bavures ! Mais la réalité c’est que, s’il n’y avait pas ce déferlement de violences de la part des miliciens Kamuina Nsapu, on n’en serait pas arrivés à tout ce que nous avons vécu. Voilà pourquoi nous avons pris des dispositions, au niveau du gouvernement, pour envoyer des renforts pour essayer de stabiliser la situation, de mettre les milices hors d’état de nuire, de traquer et de traduire, devant les cours et tribunaux, les policiers qui s’étaient révélés dans une riposte disproportionnée. Et au moment où je vous parle, la situation est sous contrôle. Les procès vont être organisés pour juger tous ceux qui se sont permis de violer les droits de l’homme, tous ceux qui ont commis les actes que nous déplorons tous.

Six mois après l’assassinat des deux experts de l’ONU, Michaël Sharp et Zaida Catalan une enquête fouillée de RFI qui vient d’être publiée sur le site RFI.FR, montre que la veille de leur mort ces deux experts ont été induits en erreur par une fausse traduction faite par des agents doubles, un véritable guet-apens. Quelle est votre réaction ?
On peut épiloguer, commenter dans tous les sens. Ce qui est vrai, c’est que ces deux experts des Nations unies - je salue leur mémoire - ont été victimes de la barbarie de la milice Kamuina Nsapu. Et ils ont posé cet acte en pensant que c’était une façon d’aggraver la situation du pouvoir vis-à-vis de la communauté internationale, mais tout indique que c’est eux - et c’est même établi - qui sont les auteurs de cet assassinat barbare et indescriptible.

La communauté internationale réclame une enquête indépendante. Etes-vous d’accord ou pas ?
Je crois qu’on peut faire confiance à la justice congolaise, qui a mené des enquêtes et qui est arrivée à démêler tout dans ce drame. Donc il n’est pas nécessaire d’avoir une autre enquête, parce que l’enquête a établi que nos deux experts ont été tués par la barbarie des miliciens Kamuina Nsapu.

Et sur l’ensemble des crimes commis depuis un an dans les provinces du Grand Kasaï, beaucoup demandent une commission d’enquête internationale indépendante. Est-ce que vous y seriez favorable ?
Il y a déjà des procès qui sont organisés, auxquels sont déférés les présumés coupables. Je pense que des sanctions graves seront données. On ne peut pas accepter que les gens se permettent de violer impunément les droits de l’homme.

Vous terminez un séjour privé en France, mais vous avez rencontré plusieurs personnalités à cette occasion. Où en sont les relations entre Kinshasa et Paris ?
Les relations sont très bonnes. Nous étions victimes de la désinformation, j’ai noté un regain d’intérêt pour mon pays. Je dois dire que les relations sont au beau fixe.

Voulez-vous dire que les relations sont meilleures que du temps de François Hollande ?
Le sentiment que j’ai est que les relations sont en train de s’améliorer depuis un certain temps. Donc nous sommes satisfaits de cette évolution positive.

Elles s’améliorent depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron ?

Oui. C’est le cas de le dire. Entre le président Macron et le président Kabila, il y a un courant qui passe. Nous avons des échanges. Nous essayons d’arriver à nous comprendre et à améliorer nos relations. Et donc nous avons l’impression que les choses sont en train d’évoluer dans la bonne direction.

Qu’est-ce qui change avec Emmanuel Macron par rapport à François Hollande ?
Il y a de la compréhension de part et d’autre et ça facilite les choses entre Paris et Kinshasa.

Vous sentiez une hostilité de la part de François Hollande ?
C’était un autre contexte où il y avait beaucoup de choses qui avaient été dites. Mais maintenant, avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, on a l’impression qu’on part du bon pied et avec la compréhension et on cherche à construire une bonne relation entre la France et la RDC.
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