C’est une décision sans appel : la Cour constitutionnelle a estimé qu’en décrétant l’état d’urgence, en raison de l’épidémie de coronavirus, le président Félix Tshisekedi n’avait pas enfreint la loi. Alors qu’en janvier 2019, la plus haute instance du pays avait été soupçonnée de pencher en faveur du « camp Kabila », le collectif de hauts magistrats a cette fois donné raison au président, déjouant ainsi une manœuvre qui aurait pu mener jusqu’à sa destitution.

En effet, en accord avec Jeanine Mabunda, la présidente de l’Assemblée, Alexis Tambwe Mwamba, l’ancien ministre de la Justice aujourd’hui président du Sénat, avait décidé de réunir les deux Chambres en congrès extraordinaire. L’objectif avoué était de débattre de la légalité de l’état d’urgence, mais, disposant d’une majorité écrasante dans les deux Assemblées, le FCC (Front commun pour le Congo) plate forme soutenant l’ex président Kabila, aurait pu aller beaucoup plus loin et voter la destitution de l’actuel chef de l’Etat.

Malgré les protestations de l’UDPS, le parti de Tshisekedi, il était déjà question de désinfecter à grands frais le Palais du Peuple afin que les représentants de la nation puissent s’y réunir. Si manœuvre il y avait –ce qui est fort probable- elle a échoué, et le chef de l’Etat, cantonné dans sa résidence de la N’Sele où il a reçu les présidents des deux Chambres, est sorti renforcé de l’épreuve.

En réalité, la manœuvre visait moins à contrer l’état d’urgence, sanitaire ou non, qui va donc être maintenu que de paralyser l’extraordinaire coup de balai qui, en pleine épidémie, envoie devant les juges ou à la prison de Makala de très hauts personnages, jusqu’à présent réputés intouchables. Directeurs d’entreprises privées, anciens premiers ministres comme Augustin Matata Mponyo ou Bruno Tshibala, ministres de l’enseignement et de la santé publique, épouse de hautes personnalités comme Amida Shatur -épouse Kamerhe- ainsi que sa sœur, Lydie Omanga, porte parole de la présidence, gouverneur de la Banque centrale du Congo, DG de la Foner (fonds d’entretien des routes), la liste de ceux qui sont convoqués pour des auditions est exhaustive et certaines auditions pourraient déboucher sur des mandats d’arrêt provisoire.










Même en province, le couperet tombe : à Goma, l’homme d’affaires Modeste Makabuza, «Mode », directeur de la société SOCOC et importante personnalité de la place, a été mis aux arrêts. Il faut dire que, dans un pays où la capitale Kinshasa ne dispose même pas de 50 respirateurs pour 10 millions d’habitants, la hauteur des fonds évaporés laisse pantois une opinion cependant blasée : Vital Kamerhe, l’ex directeur de cabinet de Tshisekedi, le premier à ouvrir la voie vers la prison de Makala, doit s’expliquer sur la disparition de 470 millions de dollars ! Un pactole qui aurait du financer, sans appel d’offres, de grands travaux d’infrastructures, dont des aménagements routiers, des logements sociaux, des écoles…

Si le détournement devait se confirmer, -ce que l’intéressé nie avec énergie- cette somme colossale aurait en réalité été destinée à financer la campagne électorale de Vital Kamerhe au cas où il se serait porté candidat aux élections présidentielles de 2023. Ce que prévoyaient les accords ayant permis de créer la coalition Cap pour le changement, conclus entre l’UNC, le parti de Kamerhe et l’UDPS de Tshisekedi.

Même si la Cour constitutionnelle a déjoué le premier piège, la lutte contre la corruption, présentée comme l’objectif numéro un de Félix Tshisekedi, rencontrera encore bien des obstacles : Kamerhe et son parti sont demeurés populaires dans l’Est du Congo où les manifestations de soutien sont nombreuses et nombreux sont ceux qui croient encore que l’intelligence politique du directeur de cabinet, sa longue expérience du pouvoir, l’auraient empêché de se lancer dans une telle aventure. En outre, les «intouchables », bien ancrés dans le système, ont encore les moyens de se défendre, sur le plan judiciaire ou autrement.

De plus, on ignore toujours la position de l’ex- président Kabila, dont les proches et les alliés politiques ont, tout au long de son mandat, été accusés de détournements monumentaux et il ne faudrait pas négliger non plus les complices étrangers de tant de malversations. Cependant, des pays voisins, comme le Kenya, ont déjà salué l’initiative tandis que le Rwanda et l’Angola conseillaient la prudence sinon la clémence à l’égard de Kamerhe, un haut dignitaire de l’Etat, un homme politique d’envergure.

Quant à la population congolaise, d’autant plus attentive à la politique qu’elle se trouve confinée et qui a dépassé le premier moment de surprise ou de doute, elle soutient largement, via la presse ou la société civile, ce « grand nettoyage ». D’autant plus que, s’il est mené à terme, il marquera, soixante ans après l’indépendance, la fin d’une époque.


Le Soir
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