Joseph Kabila, ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), a provoqué une onde de choc en brisant un silence de près de six ans. Dans une tribune publiée dimanche dans le Sunday Times, il a dénoncé le « régime tyrannique » de son successeur, Félix Tshisekedi. Cette sortie médiatique a déclenché une avalanche de réactions, entre indignation, moqueries et analyses stratégiques. Mais que cherche réellement Joseph Kabila en revenant ainsi sur le devant de la scène politique ?
Un passé qui resurgit
Pour de nombreux Congolais, le retour de Joseph Kabila dans l’arène politique est perçu comme une tentative maladroite de réécrire l’histoire. Son passé, marqué par des accusations de verrouillage de l’espace politique, de répression de l’opposition et de modification constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir, est rapidement revenu hanter le débat.
« Comment Kabila, qui a verrouillé l’espace politique, réprimé l’opposition et modifié la Constitution pour se maintenir au pouvoir, peut-il aujourd’hui parler de tyrannie ? », s’interroge un activiste sur X (anciennement Twitter). D’autres rappellent les heures sombres de son régime, notamment la répression brutale des manifestants anti-troisième mandat en 2016. La phrase sinistrement célèbre de Célestin Kanyama, ancien chef de la police de Kinshasa, « Avant de sortir pour manifester, as-tu regardé la photo de ta femme et de tes enfants ? », reste gravée dans la mémoire collective.
Honoré Mvula, membre du pouvoir actuel, a réagi sur X en affirmant : « Le régime Kabila restera marqué par la terreur : tueries, massacres, fosses communes, exécutions d’opposants… Une page sombre de notre histoire que nul ne peut effacer ».
Ratage communicationnel ou plan machiavélique ?
Si certains voient dans cette tribune une erreur de communication, d’autres y décèlent une manœuvre politique finement orchestrée. Litsani Choukran, journaliste congolais, souligne l’ironie de la situation : « Lorsque Tshisekedi a accusé Kabila d’être derrière l’opposition armée, il a été moqué. Aujourd’hui, c’est Kabila lui-même qui le crédibilise ».
Pour les analystes, cette intervention n’est pas le fruit du hasard. « Cet homme sait ce qu’il fait. C’est un félin politique. Il jette un morceau de viande dans une rivière infestée de crocodiles affamés… et observe », explique un expert en communication sociale.
Depuis quelques mois, Joseph Kabila multiplie les rencontres avec ses anciens alliés et adversaires, tout en réorganisant son parti, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Cette tribune pourrait ainsi marquer le début d’une reconquête politique, selon certains observateurs.
Un discours ambigu sur la rébellion du M23
Le point le plus polémique de la tribune de Kabila concerne son positionnement sur la crise dans l’Est de la RDC. En 2012, à New York, il avait clairement accusé un « voisin » (sous-entendu le Rwanda) d’être le « véritable commanditaire du M23 ». Aujourd’hui, il adopte un ton plus flou, refusant d’imputer directement la responsabilité au Rwanda.
Cette volte-face suscite des interrogations. Cherche-t-il à ménager certains acteurs régionaux ou simplement à embarrasser son successeur ? Thierry Monsenwepo, analyste politique, laisse entendre que Kabila pourrait jouer un double jeu pour repositionner son influence sur l’échiquier politique congolais et régional.
Une violation de la loi sur les anciens chefs d’État ?
Au-delà des critiques politiques, un autre débat a émergé : Joseph Kabila a-t-il violé son obligation de réserve en tant qu’ancien chef d’État ? La loi congolaise stipule que tout ancien président doit faire preuve de « dignité, patriotisme et loyauté envers l’État » et s’abstenir de révéler des secrets d’État.
Pour ses détracteurs, sa tribune constitue une faute grave. Cependant, ses soutiens relativisent : « Il n’a fait qu’exprimer son opinion sur la situation du pays. Rien qui ne menace la sécurité nationale ».
Entre retour durable et feu de paille ?
Cette sortie médiatique marque-t-elle un véritable retour de Joseph Kabila sur la scène politique ? Pour l’instant, son entourage reste silencieux, ce qui alimente les spéculations. Certains y voient une tentative de repositionnement stratégique, tandis que d’autres estiment que cette intervention pourrait se retourner contre lui en ravivant les souvenirs des années sombres de son règne.
Une chose est sûre : Joseph Kabila n’a pas fini de faire parler de lui. Mais loin d’affaiblir Tshisekedi, sa tribune semble avoir offert au régime actuel une opportunité de rappeler les dossiers controversés de son prédécesseur. Dans un contexte politique déjà tendu, cette onde de choc pourrait bien redéfinir les alliances et les rapports de force en RDC.