(Par Tricya Musansi, Rachidi Mabandu, Gloire Batomene et Yves Kalikat)
Les prix des denrées alimentaires flambent sur les marchés de Kinshasa. Aux abois, nombre de consommateurs kinois crient à la surenchère. Déclenchée fin décembre 2019 à la veille des festivités du nouvel an, l'envolée des prix continue son cours sur fond de dépréciation du franc congolais. En témoigne ce reportage réalisé dans quatre marchés de Kinshasa.
Sur les écriteaux des étalages de marchands de la capitale, les prix de principaux produits de consommation courante ont pris l'ascenseur depuis un mois. De l'avis des commerçants, cette hausse est due à la dépréciation du franc congolais face au dollar sur le marché de change.
"Le billet vert s'échangeait, en effet, contre 1.600 francs congolais début décembre 2019. Au crépuscule de l'année et en janvier 2020, le taux de change a franchi la barre de 1.750 Fc le dollar sur le marché parallèle", nous explique une vendeuse d'épices au marché Simba Zigida.
Comme dans plusieurs marchés de la ville, ce lieu des négoces, réputé pour ces produits de première nécessité (épices, haricots, fretins, poissons salés…) en provenance de l'Est du pays, n'a pas échappé au tsunami de la surenchère, attestent les ménagères qui le fréquentent.
En moins d'un mois, un gobelet de haricots, communément appelé ''ebundeli'', est passé de 1.500FC à 2.700 Fc. Le sac des haricots, vendu jadis à 190$, se négocie à présent à 250$. Un carton de makayabu - poisson salé en jargon kinois (lingala) - qu'on se procurait à 70.000 FC (41,76 USD), revient à ce jour à 100.000 FC (59,65 USD).
"Par ailleurs, le sac de riz de 25 kgs se vent présentement à 34.000 FC, alors qu'il coûtait 32.000FC, il y a environ deux mois. Le bond le plus spectaculaire est signalé au niveau du sachet de sucre de 5kgs qui est passé de 6.500 FC (3,88 USD) à 11.500 FC (6,86 USD)", nous souffle un autre marchand opérant au marché Zigida. Il n'arrive toutefois pas à s'expliquer cette hausse qui frôle les 50%.
LE SUCRE DE LUFU PREFERE A CELUI DE KWILU NGONGO
Au marché de rond-point Ngaba, sur la route de la province du Kongo central, le refrain est quasiment le même: la hausse des prix de produits de consommation courante bouscule le panier de la ménagère. Ici, on parle plutôt d'une légère augmentation du tarif du sachet de sucre de 5 kgs provenant de la sucrière de Kwilu Ngongo.
Vendant ses mesures en détails, Mme Adolphine Kanku - c'est son prête-nom - révèle que le sachet de 5 kgs, livré par cette entreprise congolaise, est passé de 9.000 FC à 11.000 FC depuis décembre 2019. Fréquenté davantage par des gagne-petits, le marché de rond-point Ngaba l'a poussée à revoir ses stratégies.
C'est dans cette optique que cette quinquagénaire s'est décidée à associer dans son commerce des marchandises en provenance de Lufu, le juteux marché frontalier qui se développe depuis quelques années à la lisière de la RDC et de l'Angola, dans la province du Kongo central.
Mme Adolphine Kanku s'est ainsi procuré des sacs de sucre blanc de bonne qualité à Lufu, mais à moindre frais. Elle vend, dès lors, l'ekolo - mesure locale - à 2.300 Fc. "Or, pour totaliser l'équivalent d'un sachet de 5kgs, il vous suffit juste de vous procurer 2 ekolo et demie du sucre de Lufu. Ce qui ramène à 5.750 Fc le sachet. Ayant constaté cet avantage, plusieurs de nos clients préfèrent désormais se procurer le sucre de Lufu en détails, en mobilisant les 11.500 Fc pour avoir le double d'un sachet de 5 kgs de Kwilu Ngongo. Autrement dit, le sucre d'Angola coûte quasiment la moitié du prix de la sucrière de Kwilu Ngongo. Nous voulons bien consommer local. Mais, pourquoi donc privilégier le marché local quand nos voisins nous proposent des produits de qualité meilleure à un prix plus bas ?", nous fait remarquer cette vendeuse.
A Somba Zigida, les marchands regrettent cependant de n'avoir pas cette chance d'aller s'approvisionner régulièrement à Lufu. Ils trouvent inopportune la décision des autorités congolaises qui bloquent, selon eux, l'entrée des produits en provenance du poste frontalier de Lufu pour ne pas étouffer les productions locales et les articles proposés essentiellement par les investisseurs indo-pakistanais qui ont implanté leurs pénates en République démocratique du Congo.
A MATETE, ''LE POULET NU'' SUPPLANTE WILKI
Si au rond-point Ngaba, les tenanciers de chambres froides sont toujours sollicités pour leurs livraisons de produits congelés, et particulièrement des poulets importés de marque Wilki, au marché de Matete, vendeurs et consommateurs ont pratiquement zappé ces poulets importés au profit de ''poulets nus'', commandés de fermes locales de la N'Sele.
Jugés trop coûteux, les poulets Wilki ont disparu des étalages des marchands de Matete, cédant la place à ces ''poulets nus'', qui ont l'avantage d'être plus frais, consistants et abordables. Alors qu'au rond-point Ngaba, le poids 11 du poulet Wilki se négocie aujourd'hui à 6.000 FC et le poids 12 à 7.200 FC, le ''poulet nu'' des poids équivalent oscille entre 4000 Fc et 4500 Fc.
Les ménagères de Matete se plaignent cependant de ce qu'elles qualifient de ''surenchère'' des produits alimentaires sur le marché depuis maintenant cinq semaines. "Ici, nous explique une consommatrice, le sachet de sucre (Kwilu Ngongo) est passé de 8500 Fc à 10.500 Fc, la viande kappa de 8.000 Fc à 11.000 Fc, le poisson chinchard (Mpiodi) de 3000 Fc à 4000 Fc. La mesure de farine de maïs (Ekolo) de 1000 Fc à 1500 Fc, de farine de manioc (Ekolo) de 700 Fc à 1000 Fc, et celle des haricots (ebundeli) de 2000 FC à 2500 Fc. Le récipient d'huile de palme (bouteille de Coca) est, lui, passé de 400, Fc à 600 Fc, et celui de l'huile végétale (coca) de 700 Fc à 1000 Fc".
LES JEREMIADES DES VENDEURS DE ''ZANDO''
Au Marché central de Kinshasa, communément appelé "Zando", les commerçants ont du mal à tirer des dividendes de leur activité commerciale, un mois après les festivités de Noël et du Nouvel an. Plongés dans des jérémiades, les vendeurs des poulets, de farine de manioc, du maïs, de l'huile végétale… affirment qu'ils ont du mal à écouler leurs marchandises, depuis qu'ils ont ajusté les prix de leurs articles conformément au taux de change.
Dans ce marché phare de la capitale, la mesure de la farine de manioc (Ekolo) est passée de 850 Fc à 1.000 Fc. Le sac de ''fufu'' (farine de manioc), jadis proposé à 90.000 FC, s'acquiert désormais à 110.000 Fc.
"C'est vraiment déplorable. Nous ne faisons que souffrir. Nous ne gagnons plus grand'chose. Que deviendront nos enfants, nos familles…? Nos économies sont vraiment perturbées. Nos autorités nous ont oublié", déplore Mme Angèle Mbuyi, vendeuse depuis 1998 à ''Zando''.
L'une de ses voisines, Mme Jeanette K., vendeuse d'huile de palme et d'huile végétale, fustige l'augmentation des prix qui, selon elle, est un véritable casse-tête. "La mesure d'huile de palme (bouteille de Vitalo) est passée, en moins de deux mois, de 1000 Fc à 1200 Fc. Le coca de 50 cl de 800 Fc à 1000 Fc et celui de 30 cl de 400 Fc à 600 Fc. C'est inexplicable ! Jusqu'où allons-nous serrer nos ceintures ?".
S'agissant de l'huile végétale, la mesure du coca de 30 cl n'est plus à 400 Fc, mais à 800 Fc. Le Vitalo passe de 1500 Fc à 1800 Fc. "Je ne vends plus l'huile végétale, car je ne me retrouve plus en terme de bénéfice, nous confie Maman Mado, la cinquantaine révolue. Je ne peux pas travailler pour du beurre. J'ai aussi des besoins à satisfaire en tant qu'humain. En plus, j'ai une famille à nourrir et des enfants à faire étudier. J'aide ainsi mon mari, car, de nos jours, la femme n'a plus à se cantonner au ménage".
"TOUS NOS CALCULS SONT PERTURBES"
Au Grand Marché, notre attention s'est braquée de nouveau sur l'une de nos nourritures les plus consommées chez les Kinois: le "poulet". Pour avoir "le poids 12 wilki", l'on doit débourser 7.000Fc. Ici, le prix est revu un tout petit peu à la baisse, contrairement à la période des fêtes où il avait pris de l'ascenseur atteignant la barre de 10.000 Fc.
"En dépit de la baisse du prix du poulet, les clients ne viennent plus comme il y a plus d'un mois. Je les invite à venir acheter, car ils ne doivent pas seulement attendre la Noël et le Nouvel an pour s'approvisionner", nous a déclaré une vendeuse qui a requis l'anonymat.
Par contre, les prix du sucre (dont le sachet de 5 kgs a oscillé entre 8.500 Fc et 11.0000 Fc), du riz, des haricots, des chinchards… sont tous montés d'un cran. C'est que décrie Michel, un père de famille, qui a l'habitude de faire des emplettes pour sa famille au Marché central.
"La mesure de haricots (Kopo) se négocie maintenant à 2500 Fc, alors qu'on s'en procurait à 1700 Fc. A la cité, notamment à Lingwala où j'habite, la même quantité se vend à 3300 Fc. Or, habitués à la survie, nous n'avons pas assez d'argent. Tous nos calculs sont perturbés", tempête-t-il.
Suite à cette fluctuation des prix, vendeurs et acheteurs réclament des mesures urgentes pour stopper la flambée des denrées alimentaires. La grogne sévit particulièrement dans le chef de petits détaillants qui voient leurs capitaux s'envoler. Et l'inquiétude est de plus en plus manifeste du côté des consommateurs les plus démunis qui voient leurs bourses s'effriter au quotidien.
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