ACCUSSATION DE « JOURNALISTE EN DANGER » VIS A VIS DE CSAC : INTERDIRE D’INTERVIEWER LES FORCES NEGATIVES N’EST PAS UNE VIOLATION DE LA CONSTITUTION
L’occasion de la célébration, le 2 novembre
2024, de la onzième Journée Internationale de la fin de l’impunité des
crimes commis contre les journalistes, Journaliste en danger (JED)
publie son Rapport annuel 2024 intitulé : « Nouvelle Loi sur la presse,
nouveaux abus contre les journalistes : Les nouveaux visages de la
Censure en RD Congo ».
Pour illustrer cela, le rapport aurait dit «
Les graves décisions qui ont été prises dès le début de cette année, en
février 2024, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la
communication (CSAC), notamment, d’interdire aux médias de diffuser
les informations en rapport avec la rébellion dans l’Est de la RDC ; de
ne plus diffuser des débats ou des émissions à téléphones ouverts à
propos des opérations militaires ou même d’interviewer les forces dites
négatives, constituent des actes de censure qui violent des droits
garantis par la Constitution »
Au regard de cet extrait, je note que JED juge
qu’interdire de donner la parole aux groupes négatifs, y compris le M23,
est une violation des droits garantis par la Constitution.
Pour ma part, je trouve cette accusation
extrêmement préoccupante et mérite une analyse objective afin d’éclairer
le public sur la pertinence ou non d’une telle accusation.
En effet, selon l’article 23 alinéa 2 de la
Constitution « La liberté de la presse, la liberté d’information et
d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre
moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui. »
Dès lors, la liberté de la presse, la liberté d’information et
d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre
moyen de communication ne sont garantis que du moment que cela respecte
l’ordre public, les bonnes mœurs et les droits d’autrui. En
gros, un journaliste ou une chaîne de télévision ne peut pas brandir la
liberté de la presse ou de l’information pour faire passer des messages
qui incitent ou justifient l’assassinat et le viol (ordre public), la
zoophilie (bonne mœurs) ou la discrimination envers les personnes à
mobilité réduite (droit d’autrui).
La question serait donc de se demander si
interdire aux médias congolais d’interviewer des membres du M23 et leurs
alliés constitue une violation des droits garantis par cette
disposition de la Constitution.
Pour ce faire, afin de déterminer si donner la
parole au M23 pourrait constituer un acte contraire à l’ordre public,
nous nous sommes basés sur l’avis de la très crédible l’ONG Human Right
Watch qui, en juin 2023, a publié un rapport sur les violations des
droits de l’homme commis par le groupe 2023. A sa lecture, il est dit «
les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda dans l’est de la République
démocratique du Congo ont commis des homicides illégaux, des viols et d’autres crimes de guerre
apparents depuis la fin de l’année 2022, a déclaré Human Rights Watch
aujourd’hui. Les attaques à l’arme explosive dans les zones peuplées de
la province du Nord-Kivu ont tué et blessé des civils, endommagé des infrastructures et exacerbé une crise humanitaire déjà grave. ».
Pour bien illustrer cette barbarie du M23 voici quelques témoignages des viols et des assassinats recueillis par HRW.
• Une mère de six enfants, âgée de 46 ans, qui a
fui Mushaki dans le territoire de Masisi le 25 février avec sa mère de
75 ans, est tombée sur un groupe de 10 rebelles du M23, qui ont pris
leur argent. « Ils voulaient nous violer », a-t-elle dit. « Ma mère a
dit non, alors ils lui ont tiré une balle dans la poitrine, et elle est
morte sur le coup. Puis quatre d’entre eux m’ont violée. Alors qu’ils me
violaient, l’un d’eux a dit : « Nous sommes venus du Rwanda pour te
détruire.
• Une jeune femme de 22 ans qui a fui Kitchanga
en février, plusieurs semaines après la prise de la ville par le M23, a
décrit la vie sous leur contrôle : Le M23 a harcelé les gens et pillé
les maisons. Ils ont pris ce qu’ils voulaient et ont emmené des hommes.
Je ne sais pas où ils les ont emmenés... Au bout de deux semaines, ils
ont commencé à violer des femmes. Ils ne se souciaient pas de savoir si
nous étions mariés ou non. Ils sont venus chez moi dans la soirée du 20
février. Ils ont dit à mon mari de partir. Ils étaient sept, et cinq
m’ont violée. Mon mari n’a pas supporté ce qui m’est arrivé et m’a
quittée. J’ai dû fuir par moi-même, à travers la forêt.
Image : Moses Sawasawa/AP/dpa/picture alliance
• Une femme de 28 ans a raconté avoir été
violée collectivement début janvier par des combattants du M23 qui
occupaient la ville de Kako, dans le territoire de Rutshuru : Après le
départ de mon mari pour aller travailler, cinq hommes sont venus frapper
à ma porte vers 10 heures du matin... Ils ont dit qu’ils étaient du M23
et m’ont demandé si j’étais marié. J’ai dit oui. Ils m’ont tous violée.
J’ai crié mais mes voisins avaient trop peur d’entrer.
• Son mari est rentré à la maison, mais elle a
entendu ses voisins lui dire de ne pas entrer, sinon ils le tueraient.
Elle a dit : Je leur ai proposé de l’argent, ils ont dit non. J’ai
demandé pardon. Mais ils m’ont toujours maintenu les mains et les jambes
et m’ont violée jusqu’à ce que je perde connaissance... Maintenant, je
suis enceinte et je ne sais pas à qui il s’agit. J’ai tellement honte.
Maintenant, mon mari est parti pour de bon.
• Une femme de 37 ans et son mari, âgé de 36
ans, qui ont fui les combats autour de Kitchanga le 19 janvier, ont
déclaré qu’une douzaine de combattants du M23 les avaient interceptés
ainsi que sept autres personnes, dont trois femmes. Les combattants ont
ligoté les hommes et en ont exécuté un, a déclaré le couple. « Ils nous
ont accusés d’être des FDLR et ont dit que nous collaborions avec des
tueurs », a déclaré le mari. Ils ont emmené les femmes plus loin et les
ont violées. La femme a déclaré : « Ils ont déchiré mes vêtements, je
pleurais et je les suppliais de me tuer plutôt que de me violer. Ils
m’ont violée une par une ; Je criais tellement. Alors que le troisième
me violait, j’ai perdu connaissance. Les soldats attachèrent les hommes à
des arbres et les battirent violemment. Finalement, le mari a réussi à
s’enfuir.
Face à ses atrocités, le HRW, via sa chercheuse
Clémentine de Montjoye, conclut en toute logique que « les meurtres et
les viols incessants du M23 sont renforcés par le soutien militaire que
les commandants rwandais apportent au groupe armé rebelle ».
En février 2023, l'ONG Amnesty International
publie un rapport sur la prise de contrôle de la localité Kishishe par
le les membres du M23. Il est dit que ses derniers "sont allés de
maison en maison, exécutant sommairement tous les hommes adultes qu’ils
trouvaient et soumettant des dizaines de femmes à des viols, y compris
des viols en réunion". Voici quelques témoignages :
Partant de ce constat, revenons sur la question
de l’interdiction du droit d’interviewer un membre de ce type
d’organisation qui constituerait, selon JED, une violation des droits
garantis par la Constitution. Pour ma part, interdire d’interviewer les
membres d’un groupe terroriste ayant commis et continuons de commettre
des assassinats et des viols de civils congolais se justifie amplement
par le respect de l’ordre public. Pourquoi ?
Avant tout, il faut saisir que le respect de
l'ordre public fait référence à l'ensemble des règles et des lois qui
assurent la sécurité, la tranquillité et le bien-être de la société.
Cela inclut la prévention des comportements perturbateurs, le maintien
de la paix et de la sécurité publique. En gros, c'est tout ce qui permet
à une société de fonctionner de manière harmonieuse et sécurisée.
Partant de ce principe, si l’on accorde le
droit à la parole dans les médias congolais à des groupes terroristes,
que risquons nous en termes d’ordre public ? Sans nul doute, le membre
du groupe terroriste, durant son interview, justifiera logiquement son
action et son combat, par conséquent les moyens pris pour les mener,
c’est-à-dire le viol et le massacre. Quel message enverrons nous alors
au public en permettant la diffusion de ce genre d’interview ? Quel sera
le sentiment des victimes des groupes terroristes de voir les auteurs
des massacres et des viols justifier leurs actions dans les médias ? Si
nous leur accordons ce droit, alors nous contribuons à la justification
de leurs actions et cela me paraît indéniablement contraire à l’ordre
public. Aucune revendication sociale,
politique ou culturelle ne peut justifier l’assassinat et le viol des
civils. Dès lors, la décision d'interdiction du CSAC se justifie
amplement sur le plan constitutionnel.
Afin de renforcer ma position, j’invite le JED à faire l’effort intellectuel d’imaginer la même situation appliquée à leur pays.
Vous imaginez le Chef d’AlQaida qui
passerait sur une chaîne américaine pendant qu’AlQaida occuperait la
moitié du Texas et que ses membres s’adonneraient, sur place, au viol et
au massacre des citoyens américains ! Vous imaginez le Chef de l’État
Islamique qui passerait sur un média français pendant que l’État
Islamique occuperait Marseille et que ses membres s’adonneraient, sur
place, au viol et au massacre des citoyens français !
Lorsque la Russie a agressé l’Ukraine, les pays
occidentaux ont interdit les médias russes sur le sol européen car le
pouvoir russe en faisait usage pour justifier l’agression. Je soutiens
cette action car un pays qui agresse l’Europe ne peut avoir accès aux
médias et aux populations européennes pour justifier son agression.
C’est logique ! Alors pourquoi ce qui est applicable en Europe ne serait
pas applicable en RDC ? Les victimes des massacres et des viols en
Ukraine seraient elles moins humaines que les victimes congolaises ?
En conclusion, je prie JED de faire preuve
d’humilité et d’objectivité car son accusation selon laquelle interdire
d’interviewer les membres des forces négatives serait une violation des
droits garantis par la Constitution n’a aucun fondement. Pour ma part,
je suis d’avis que le CSAC devrait élargir l’interdiction en y incluant
non seulement les interviews mais aussi les messages des groupes
négatives. On ne peut pas tuer et violer des congolais et se prévaloir
d’un droit constitutionnel pour avoir l’occasion de justifier ses
violations des droits de l’homme.